Gasse.
Nom féminin.
Butorides striatus. Petit héron qui chasse poissons et crustacés sur les rivages de la mer ou des étendues d’eau douce en projetant un cou qui, la plupart du temps, est ramassé lorsque l’oiseau est posé sur le sol.

“Tu te rappelles quand ta tante marchait le long de la plage avec son paletot gris, les mains dans le dos, telle une gasse arpentant la côte ?”
“Désormais, aux abords des ‘wetlands’, certaines espèces d’oiseaux comme la poule d’eau et la gasse peuvent évoluer ainsi que des papillons et des libellules.”
(Le Matinal, 20 février 2010.)
“Le meilleur horaire pour les observer : à marée basse, de préférence avant 8 heures du matin. Des visiteurs en villégiature d’octobre à février. Parmi eux : corbijeau, gasse, tourne-pierres, pluvier argenté, chevalier guignette et bécasseau cocorli. Loin des noms scientifiques, loin des préoccupations humaines, les oiseaux eux grattent le sable.”
(L’Express, 29 octobre 2005.)
“Munie d’une paire de jumelles, Teesha scrute attentivement le rivage, en notant au fur et à mesure ses observations dans un calepin. « En septembre, lorsque les premiers oiseaux sont arrivés, nous avions repéré seulement trois espèces. Aujourd’hui, il y en a six », dit-elle en énumérant le bécasseau corcoli, le corbijeau, le pluvier argenté, le ringed plover, le terex sandpiper et la gasse.”
(Week-End, 24 octobre 2004.)

Dans Birds of the Mascarenes and Saint Brandon (1976), à la page 51, France Staub mentionne la gasse en ces termes, dont on ne peut qu’admirer la précision :
The Striated Heron comes probably from Java. Formerly present in all the Mascarene islands it is now extinct in Reunion. In Rodrigues, it breeds in the rarely visited islets of the lagoon and, in Mauritius, it uses the small mangrove islets that grow in the middle of the fish ponds or “barachois”. The nest is made of sticks and holds two or three pale blue eggs measuring 3.85 × 2.85 cm.
The bird is a feature of the Mauritian seascape, where it holds its stance, neck bent, head cocked, ready to thrust its dagger-like bill at small fry. […]
Le même auteur, un dentiste passionné d’ornithologie, dans un autre livre publié 17 ans après celui mentionné ci-dessus, parle à nouveau de la gasse :
Nous mentionnerons ici la Gasse ou Héron vert Butorides striatus, qui pêche dans les ruisseaux de Curepipe, dans les lacs des Jardins botaniques, et au bord de nos lagons. Selon Dillon-Ripley, il nous vint de Java, vers la fin du XVIIIe siècle. Il sait attirer sa proie en projetant des petits objets dans l’eau. Il choisit des mangroves de barachois, entre autres, pour déposer ses deux ou trois œufs bleu clair dans un nid de branchettes sommaires. Sa patience va de pair avec sa précision et en fait un véritable artiste de la pêche.
La saison de ponte s’étend de juillet à septembre. Quand on le dérange alors, son cri à l’envol jette une note très caractéristique sur le fond sonore de l’environnement marin.
En effet, parmi tous les cris d’oiseaux — lesquels sont en général facilement identifiables sans qu’il soit nécessaire de voir l’animal —, celui de la gasse possède une tonalité particulière. Il s’agit d’un oiseau bien moins farouche que ce grand migrateur qu’est le corbijeau (courlis), ce qui permet parfois de s’en approcher d’assez près, un avantage certain pour qui souhaite le prendre en photo, comme on peut le voir sur la première image de ce billet. (Il est possible de voir les photos en plus grand en cliquant dessus.)

Comme un certain nombre de mots utilisés à Maurice, le mot gasse est d’origine portugaise, ce qu’on pourrait qualifier de lusitanisme. Dans le deuxième volume du Diccionario portatil portuguez-francez (1812), c’est-à-dire dans la partie “portugais-français”, il est possible de voir que garça, substantif féminin, est donné comme étant l’équivalent de héron.
Le genre féminin du mot portugais expliquerait pourquoi on dit une gasse en français mauricien. Qui plus est, le mot possède une prononciation alternative le rapprochant du mot français garce, du genre féminin : dans le Dictionnaire du créole mauricien de MM. Baker et Hookoomsing, l’entrée principale correspondant à l’oiseau dont il est question ici est gas (prononcé de la même façon que “gasse”) mais il existe une entrée secondaire, renvoyant à gas, qui est orthographiée gars (prononcé de la même façon que “garce”).

Baker & Hookoomsing, Dictionnaire du créole mauricien, page 116.
Sur le site internet du dictionnaire brésilien Michaelis, on trouve en outre la définition suivante :
garça
sf (lat vulg *gartia) 1 Ornit. Nome comum das aves aquáticas pernaltas do gênero Árdea, de bico e pescoço compridos e que se alimentam de peixes.
Ce qui pourrait se traduire (avec la précieuse aide de Jesús) par : “Nom générique des oiseaux aquatiques hauts sur pattes du genre Ardea, au long bec et au long cou, se nourrissant de poissons.”
Ce dictionnaire donne ensuite toute une liste d’expressions portugaises construites à partir du mot garça, auxquelles se rajoute une deuxième acception correspondant au mot français gaze (tissu léger, utilisé notamment pour faire des pansements), acception seconde ne semblant avoir aucun lien avec la précédente. Par ailleurs l’espagnol a un mot voisin — pour ne pas dire le même — pour parler de ce groupe d’oiseaux, le mot garza.
Tout ceci n’est pas particulièrement mystérieux, si ce n’est de comprendre pourquoi le mot portugais a été adopté pour parler d’un oiseau que l’on trouve à Maurice. Il paraît possible, voire probable, que le héron strié existait dans des territoires lusophones (Mozambique, Goa, Angola ou autres) et que des personnes ayant séjourné dans ces territoires ont appelé garça le même oiseau observé à Maurice, ce qui aurait fini par donner le nom gasse ou garce en créole et en français local.
Ce qui est plus mystérieux en revanche, c’est de savoir d’où vient la garça portugaise, et si le mot a un lien de parenté avec la garce française. Le dictionnaire Michaelis cité plus haut parle d’un mot latin °gartia (forme reconstituée), dont la signification n’est pas précisée, étymologie reprise par le wikcionário, le wiktionnaire portugais (“Etimologia: Do latim gartia”). Par contre, la page de Wikipédia en portugais consacrée à la famille des Ardéidés parle, aux sujet des garças, d’une “forme pré-romane °karkia” (forme reconstituée elle aussi), sans davantage de précision sur ce mot hypothétique.
Le mot français garce, pour sa part, est la forme féminine de gars, lui-même lié au mot garçon, gars n’étant que le cas sujet (déclinaison de l’ancien français) de garçon et garçon le cas régime de gars. Et garçon, pour sa part, serait issu d’un mot francique (langue germanique des Francs), le mot °wrakjo, ayant signifié “vagabond”, “mercenaire”. Il semble donc peu probable que la gasse (ou garce) soit une garce au sens français, tant moderne qu’ancien. Tant mieux pour elle.
