Archives mensuelles : décembre 2014

Maf

Maf.
Adjectif.

“Mou”, “spongieux”, en parlant d’un aliment qui, à cause de l’humidité ou d’une mauvaise cuisson, n’a pas la consistance croustillante attendue. “Ah l’horreur ! mon pain est maf net.”

“Flasque”, “sans énergie”, “mou”, en parlant de quelqu’un sans entrain et ayant en général une certaine corpulence (cf. “patate”). “Fouf, il est maf même ce boug-là !!

L’expression mauricienne est issue du mot malgache maf, mafy (“mou”, “gluant”, sens attestés aux XVIe et XVIIe siècles au sud et à l’est de Madagascar), mot qui, aujourd’hui, d’une façon paradoxale, signifie “dur” en malgache standard. En dialecte betsileo toutefois, mafe est utilisé pour parler d’aliments “mal cuits, devenus fades, aqueux”, ce qui rejoint le sens local. En outre, l’expression mauricienne a vraisemblablement été influencée par des mots français (parfois dialectaux) tels que mafflu, maflé, mafle, etc., lesquels contiennent l’idée de bouffissure ou de flaccidité.

Les Seychellois et les Réunionnais utilisent eux aussi le mot maf, dans des sens voisins, l’adjectif pouvant par ailleurs servir à parler d’un fruit ou d’un légume dont la maturité est passée et qui s’est ainsi ramolli. Le fait d’être maf est donc un problème qui ne touche pas que les Mauriciens. Une consolation.

Kozé # 4 – Décembre 2014.

Kozé # 4 – Décembre 2014.

Degré

Degré.
Nom masculin.

Diplôme universitaire ayant au moins le rang de “bachelor” (licence).

Curio: Diplomas

Chez Rushmore Business school par exemple, pour faire ‘le Master in Business Administration’, un HSC n’est pas suffisant car à défaut d’un degré et un minimum de trois ans d’expérience, le candidat doit posséder au moins un diplôme, qui est inférieur, et plusieurs années d’expérience.”
(5-Plus Dimanche, 8 juin 2003.)

Le gouvernement se penchera sur la publication d’un Employment Trends Survey qui servira à informer les jeunes diplômés sur leurs opportunités de carrière. Il mettra en place un Dual-Apprenticeship Scheme qui consistera à mélanger la pratique et la théorie en classe. Ce programme couvrira aussi les cours pour l’obtention du diplôme et du degré.”
(Le Mauricien, 9 novembre 2013.)

«Le council reconnaît uniquement les degrés qui sont reconnus dans le pays d’origine», explique Kiran Bhunjun. Les étudiants et diplômés de la JSS Academy ne seront pas reconnus comme ingénieurs tant que l’UGC ne confirmera pas la validité de leur diplôme.”
(L’Express, 17 février 2014.)

Admission à l’UTM ouverte pour ceux qui veulent faire un degré en Divinity
(Site du diocèse de Port-Louis, 23 mai 2013.)

La majorité ont été jugés sous-employés, leurs emplois exigeant moins d’un degré. Le secteur privé reste le plus grand pourvoyeur d’emplois pour les diplômés, qui ont de plus en plus de difficultés à trouver un poste dans une institution publique.”
(Le Mauricien, 20 avril 2012.)

La matière doit être enseignée par un enseignant de Physical Education possédant un degré/diplôme.”
(Le Défi, 31 mars 2012.)

À la fin de votre programme et quand l’ensemble de vos obligations financières sont remplies, votre certificat, diplôme ou degré vous sera accordé.”
(Site de l’Impact School of Christian Ministries.)

L’utilisation du mot “degré” à Maurice — alors même que le mot diplôme existe en français — est liée à la distinction qui existe en anglais entre un “degree” et un “diploma”.

En toute rigueur, le diploma devrait simplement être la feuille de papier, le document lui-même, attestant qu’une personne a suivi un cursus donné, qu’elle possède un certain nombre de connaissances et qu’elle a été reconnue apte à recevoir un titre délivré par un organisme de formation (université, école, institut, chambre consulaire, etc.). Tout comme le mot diplôme, diploma vient du grec diplôma, “feuille pliée en double”, lui-même issu de diplous, “double”. L’étymologie même du mot indique qu’il s’agit du document en tant que tel, c’est-à-dire du morceau de papier ou de parchemin sur lequel est inscrit quelque chose. Toutefois, au fil du temps, par métonymie un mot a été utilisé pour exprimer une notion voisine et l’attestation est devenue la chose elle-même : le diplôme n’est plus le document seul, mais ce qu’il atteste, c’est-à-dire le titre, le grade.

En français il n’existe qu’un seul mot pour le titre : diplôme, que celui-ci soit du brevet, du baccalauréat, de licence, de maîtrise, d’ingénieur, d’architecte, de médecin, d’expert-comptable, de vétérinaire ou de docteur en littérature française — voire de relaxologue. En allemand idem (ou presque) : Diplom. Mais en anglais contemporain il en existe plusieurs : certificate (cf. nos CPE, SC ou HSC), diploma ou degree, et ces mots, ainsi que la réalité qu’ils recouvrent, n’ont pas la même valeur.

Le moins prestigieux d’entre eux est le certificate (certificat). C’est celui qu’on a lorsqu’on a été à l’école ou qu’on a suivi un stage ou une formation technique. Le CPE (Certificate of Primary Education) est l’examen de la fin du primaire. La “senior”, année d’école équivalente à la seconde dans le système français (élèves âgés de 15 à 16 ans), donne lieu à la SC, ou “school certificate”. Deux ans après, les élèves du secondaire passent la HSC, ou “Higher School Certificate”, marquant la fin de leur études scolaires.

Le diploma, pour sa part, sanctionne une formation relativement courte , souvent assez technique, suivie par des gens qui ne sont plus à l’école. Elle n’a généralement pas lieu dans une université attitrée, et de ce fait ne se déroule pas dans un cadre académique. Il s’agit généralement de formations professionnalisantes, axées sur une activité bien précise, sur un métier particulier. Elles sont moins générales que les études universitaires et possèdent un prestige moindre.

Le degree, comme on l’a dit plus haut, est un diplôme octroyé par une université à l’issue d’études d’au moins trois ou quatre ans (bachelor). Dans la plupart des esprits, ce sont là les “vraies” études, les études académiques.

Tout ceci fait que quelqu’un ayant suivi des études universitaires débouchant sur l’obtention d’un degree pourra éprouver une certaine réticence à parler du diplôme qu’il possède en utilisant le mot “diplôme”, de peur que, dans la grande pagaille de la diplomatie mondiale, son interlocuteur pense qu’il n’a “qu’un diploma”. C’est ainsi que nous nous retrouvons à entendre des barbarismes du genre “j’ai fait un degré en psychologie” ou de ceux qui figurent en exemple au début de ce billet.

Toutes ces entorses à la langue ne sont-elles toutefois pas justifiées lorsqu’il s’agit de s’élever sur les degrés de l’échelle sociale ?

Diplome_hautes_etudes_martiennes

Zangarna

Zangarna.
Nom masculin.

Païen, mécréant. (Bon à rien.)

Ƶ

L’appellation chrétienne est encore plus gênante. Qui est chrétien, aux yeux de Dieu, et qui ne l’est pas ? Qui est plus aimé de Dieu du zangarna baptisé en bonne et due forme, avec parrain, marraine, dragées, brioches et robe blanche, ou les plus sincères des adorateurs de Ram, de Shiva, de Vishnu, qui connaissent autant les Evangiles que les Upanishads et le Mahabharata, des croyants clamant plusieurs fois par jour et de toute la force de leurs haut-parleurs la grandeur du Dieu Unique, le Dieu d’Ibrahim, de Yacoob et d’Issac, et qui se souhaitent : Salaam alaikhoum ! comme le Christ nous dit : «[La] Paix soit avec vous» ?
(Yvan Martial, La Vie catholique, 4 au 10 mai 2007.)

Mais gare aux zangarnas comme toi, Quincois ! Si tu as un grigri sur toi, jette le vite à la mer, dès que tu as aperçu une baleine ; sans ça, elle te poursuivra jusqu’à ce qu’elle ait coulé ton bateau !
ZANGARNA. – (Corruption de Jaggernaut): boudhiste, adepte des rites de Jaggernaut et, par extension, païen, non-chrétien – voire, mauvais chrétien
(Savinien Mérédac, Polyte (page 99), 1926.)

J’ajouterai, mieux les préparer pour mieux les contrôler. Pour soi-disant ne pas laisser les gens — perçus comme des zangarna — qui se séparent de leur confession sans spiritualité.”
zangarna : personne ou gens vivant sans foi religieuse
.”
(Christian Némorin, Une Île inachevée, 2008.)

ZANGARNA. Païen, homme sans religion, impie ; par extension, hérétique. ETYM : Jaggurnaut, ville de l’Inde […].”
(Robert Furlong et Vicram Ramharai, Panorama de la littérature mauricienne: la production créolophone. Des origines à l’indépendance, 2007.)

Wi, mo dakor; akoz bannla nou dan pens.
Bann sal Zangarna! Payen! Zanfan Satan!

(Dev Virahsawmy, Karay So (pou Gérard Sullivan), 9 long poem, 2006.)

Parski mo lapo maron,
Parski mo seve nwar-drwat,
Parski mo al sivala
To dir mo enn zangarna.
Parski nou pa koz parey,
Parski mo met langouti,
Parski mo manz farata
To dir mo enn bachara
.”
(Dev Virahsawmy, novembre 2007.)

When some Mauritians choose to call their Hindu neighbour Zangarna, they unconsciously pronounce the name Jugannath, the Lord of the Universe.
(Sookdeo Bissoondoyal, A Concise History of Mauritius, 1965.)

Anou ekout enn parol dan segon liv Martir Izrael (7,1-2.9-14)
[…]
9   Zis avan li rann so dernie soupir, deziem frer- la dir lerwa: «To enn zangarna, to pe tir nou lavi lor later azordi, me akoz nou fidel ar lalwa, lerwa liniver pou resisit nou, pou donn nou lavi eternel.»
(La Vie catholique, 05 au 11 novembre 2010.)

Ƶ

L’expression est relativement rare (elle ne figure d’ailleurs pas dans le Diksioner morisien de Carpooran), ce qui expliquerait sans doute pourquoi le sens qui s’y attache peut varier d’un locuteur à un autre. Pour une partie des gens, le terme zangarna est lié à la religion et s’utilise pour parler de celui qui ne croit pas en Dieu, ou dont la pratique religieuse laisse à désirer — autrement dit un mécréant (un mauvais croyant), un misbeliever, un apikoros. Pour une autre partie, un zangarna est “un bougre qui ne fait rien de sa vie”, un type qui se laisse aller et qui se moque de ce que la société peut penser de lui — autrement dit un traîne-savate, un jean-foutre, un bon-à-rien. Cette deuxième acception dérive certainement de la première. Le fait d’être un mécréant étant moralement condamnable, le terme possède une connotation suffisamment péjorative pour être employé en tant que terme de reproche dans d’autres contextes, d’où l’extension ou le changement de sens. On remarquera toutefois que dans le 8e et dernier exemple d’utilisation ci-dessus, le passage biblique en créole “to enn zangarna” provient du texte suivant (cité plus bas dans l’article de La Vie catholique) : “tu es un scélérat” — scélératesse se rattachant sans nul doute au fait d’être un bon-à-rien.

Baker & Hookoomsing, Dictionnaire du créole mauricien, page 341.

Baker & Hookoomsing, Dictionnaire du créole mauricien, page 341.

Selon MM. Baker et Hookoomsing, l’expression vient du nom d’une divinité hindoue dont le temple principal se trouve dans la ville de Puri en Orissa, sur la côte est de la péninsule indienne, au bord du golfe du Bengale. Dans cette ville est vénéré Jagannath, lequel est une manifestation de Krishna, donc de Vishnou. La statue du dieu, peinte en noir, est dotée de grands yeux, d’une grande bouche et de bras courts. Au cours de la grande fête annuelle qui a lieu au mois de juin ou juillet — le Ratha Yatra —, trois énormes chariots (ratha) sont construits pour abriter et transporter Jagannath, son frère et sa sœur. Cette fête a lieu dans une atmosphère de grand enthousiasme, de nombreux pélerins venant à Puri afin d’avoir la bénédiction de la vue du dieu (son darshan). La foule en liesse et la vénération prodiguée à la trinité composée de Jagannath, de Balarama et de Subhadra ont suffisamment frappé les Européens — surtout les plus puritains et les plus empreints de préjugés — pour que ceux-ci associent le culte de Jagannath à la plus condamnable des formes d’idolâtrie.

Procession de Jagannath à Puri.

Procession de Jagannath à Puri.

En 1806, un missionnaire écossais, Claudius Buchanan, a assisté au festival des chariots et en a donné un compte rendu empreint de critique. Ce “reportage” figure sous forme de journal dans ses Christian Researches in Asia, publiées en 1811, la condamnation morale du puritain clergyman Britannique envers ces rituels qu’il réprouve apparaissant à chacune de ses phrases ou presque :

I have seen Juggernaut. […] The idol called Juggernaut has been considered as the Moloch of the present age; and he is justly so named, for the sacrifices offered up to him by self-devotment, are not less criminal, perhaps not less numerous, than those recorded of the Moloch of Canaan.

The idol is a block of wood, having a frightful visage painted black, with a distended mouth of a bloody colour.

Le mépris des Anglais pour les croyances et les coutumes indiennes se sont exprimées — y compris par écrit — tout au long du XIXe siècle, et même au-delà (cf. les commentaires de Winston Churchill sur Gandhi en 1930 ou sur ce qu’il aurait qualifié de “beastly religion”). Il n’est donc pas particulièrement étonnant de voir que, impressionnés par des rites qu’ils ne comprenaient pas et qu’ils désapprouvaient, les Européens aient utilisés les mots indiens attachés à ces cultes pour en faire des expressions connotées négativement, d’où “juggernaut” en Grande-Bretagne ou “zangarna” à Maurice.

Oxford English Dictionary (Shorter), third edition.

Oxford English Dictionary (Shorter), third edition.

Longtemps avant le peintre Xavier Le Juge (1939, 1952), François Chrestien a traduit des fables de La Fontaine en créole. C’est ainsi que dans ses Essais d’un bobre africain (1822 1ère édition, 1831 2e édition, 1869 3e édition), en traduisant Le Rat qui s’est retiré du monde, pour faire plus “couleur locale” il transforme l’exotique mot “derviche” en “prêtre zanguerna” :

Pretre_zanguerna--Francois_Chrestien--Les-Essais_d'un_bobre_africain_(1831)--page_146

À Maurice on trouve un certain nombre de patronymes dérivés du nom de Jagannath, le Seigneur de l’Univers. Au cours du XIXe siècle, probablement à l’arrivée des immigrants indiens à Port-Louis, ces noms, transcrits en alphabet latin, ont reçu des graphies diverses, comme on s’en rend compte aujourd’hui encore.

Extraits de l'annuaire téléphonique (2014).

Extraits de l’annuaire téléphonique (2014).

Il ne nous a pas semblé, cependant, que ces noms aient jamais été associés au mot mauricien zangarna, ni même au mot anglais juggernaut. S’il existe une parenté étymologique entre eux, cela ne s’est jamais concrétisé ni dans les esprits ni dans le langage. À tout seigneur, tout honneur.

Jagarnath Lane

Jagarnath Lane