Archives mensuelles : novembre 2013

An silkan

Une anecdote savoureuse…

Ce jour-là, lors de la visite du terrain sur lequel une maison doit être construite, il est question du tracé de la limite de propriété (généralement appelée balisage). La dame est anglophone à l’origine (mère anglophone [juin 2016]) mais, ayant épousé un Mauricien, elle a dû vivre à Maurice depuis au moins vingt ans, tant et si bien qu’elle s’exprime d’une façon somme toute très locale, quand bien même son origine anglaise transpire çà et là dans son accent. Le terrain est plutôt rectangulaire mais, à proximité d’un des coins, son balisage part un peu en biais. Parlant un français tout à fait correct de la part d’une personne n’ayant probablement pas pratiqué cette langue dans ses plus jeunes années, la dame explique que cette partie du terrain est “en sulcan”. Ah ! quel bonheur d’entendre cela !

En créole il existe une expression signifiant “en biais”, “en diagonale”, “de travers”. Cette expression est “an silkan”. Dans le Diksioner Morisien de Carpooran, il est question de “edgewise, diagonally”. Baker et Hookoomsing, eux, mentionnent “sur can, en diagonale” et, de façon peu claire, parlent d’un 2e sens : “dans une direction diagonale de.” Quant au dictionnaire de Ledikasyon Pu Travayer, il parle pour sa part de “crooked, askew, squiffy”.

Passons sur le mot crooked (tordu), qui ne me semble pas vraiment convenir, alors que squiffy (éméché, un peu saoul) me semble complètement hors sujet, et concentrons nous sur ce que disent MM. Baker et Hookoomsing, propos repris d’ailleurs en partie par le professeur Carpooran. Tous deux — ou plutôt tous trois — parlent d’une expression française “sur can” ou “en dessus le can”, dans laquelle, on peut le supposer, le mystérieux mot can rime avec camp, quand et chant et non avec canne ou Strauss-Khan.

Diksyoner kreol morisyen, page 31.

Diksyoner kreol morisyen, page 31.

Ce mot — can — ne figure pas dans le Petit Robert, où l’entrée canada fait suite à camus. Il ne figure pas non plus dans le Grand Larousse. Le Dictionnaire historique de la langue française ne connaît pas d’entrée à can, pas plus que le très-complet Trésor de la langue française. Qu’en conclure ? Que le mot can est une invention de nos lexicographes locaux, une affabulation ?

Carpooran, comme on peut le voir plus haut, parle d’un “français dialectal” dont serait issue l’expression créole, tout en se gardant bien de préciser quel est le dialecte en question et de quelle façon il serait à l’origine de cette expression. Mais peut-être s’agit-il d’une prononciation régionale du mot chant ? On gardera en tête à ce sujet que la consonne douce ch- — prononcée [ʃ], ou “sh-” — du mot chant correspond au son [k] dans d’autres langues (canto en italien, en portugais et dans d’autres langues latines, cantus en latin) ou en français même (cantate, cantatrice, cantique).

Dicobat, page 190.

Dicobat, page 190.

Et on gardera aussi en tête que le chant d’un objet relativement plat comme une lame de parquet, une brique ou un livre est sa partie la moins large, aussi appelée tranche. Poser une brique “sur chant”, ce n’est pas la poser à plat comme on le fait couramment, mais sur le côté. Idem pour les lames de parquet, qu’on pose parfois de façon à ce que ce soit la tranche de chaque lame qui soit visible, plutôt que le plus grand côté plat. Peut-être est-ce à ce chant-là, qui serait ou aurait été prononcé [kɑ̃] dans certaines régions, que MM. Baker, Hookoomsing et Carpooran font référence ?

Dicobat, page 191.

Dicobat, page 191.

En admettant que ce soit bien le cas, en admettant donc que “an silkan” ait bien l’origine que lui prêtent les auteurs cités, on comprendrait toujours mal pourquoi l’expression française “sur chant”, prononcée donc “sur can” en l’occurrence, laquelle a trait au fait de poser un objet parallélépipédique sur son petit côté plutôt qu’à plat, aurait pu donner l’expression créole “an silkan” signifiant “en biais, de travers”. Car en posant la chose sur (le) chant, on la pose droit, pas en biais ni de travers. Mais la langue, lorsqu’elle évolue ou donne naissance à une autre, ne suit pas forcément le chemin de la logique.

Ce qui était particulièrement réjouissant dans l’usage de cette expression créole par la dame construisant sa maison résidait d’une part dans le fait qu’une personne d’origine étrangère utilise une expression qu’un certain nombre de Mauriciens ne connaissent même pas, et d’autre part qu’elle le fasse en effectuant au passage une hyper-correction fort amusante. Comme il est bien connu que les sons -u du français ont été transformés en -i en créole (la musique = lamizik, la lune = lalinn, tout nu = touni), il arrive que lors d’une tentative de francisation d’un mot créole certains mettent un -u pour remplacer un -i, même lorsque cela ne se justifie pas.

Item

Item.
Nom masculin.

Chose, article, produit, élément, unité, rubrique, point, truc…

Prononcé “y t’aime”, ou “iThème” si on préfère.

"autres items islamiques etc..."

« autres items islamiques etc… »

Interrogés par l’express, des recteurs disent qu’il leur a été déconseillé, voire interdit d’approuver des danses «Western» pour le Music Day. Raison : selon nos recoupements, lors d’une fonction il y a quelques années, de hauts responsables du ministère auraient eu la malencontreuse surprise d’apercevoir les dessous d’une fille pendant qu’elle dansait. Ainsi, sur quatre recteurs interrogés, trois disent qu’au niveau du choix des prestations, ils n’ont retenu que certains items. «Les élèves voulaient danser mais nous préférons privilégier le chant. Ce, tant que nous ne sommes pas sûrs des paramètres par rapport aux danses», confie une rectrice.”
(L’Express, 28 juin 2013.)

Ce commerce vend des objets uniques venant d’Asie. Cela grâce à l’initiative d’une toute nouvelle firme, Imiloa. L’occasion de découvrir des vêtements et des accessoires exclusifs en provenance des côtes mystiques de l’Inde dans un magasin proposant un seul exemplaire de chaque item mis en vente. Un concept nouveau pour les Mauriciennes.”
(Le Défi, 8 juillet 2012.)

Et d’ajouter : « L’écart entre les riches et les pauvres devient plus large. » « Des sommes astronomiques sont dépensées sur des items qui ne sont pas prioritaires alors qu’elles auraient pu être utilisées pour le confort de ces pauvres », a-t-il fait ressortir. Selon lui, la nouvelle carte d’identité nationale, qui coûte au pays Rs 1,2 milliard, constitue un acte de provocation envers ces 270 000 personnes.”
(Le Mauricien, 23 septembre 2013.)

On ne se rend pas compte du nombre d’items que comporte l’ameublement d’une maison, d’un appartement ou d’une villa. Il y a les meubles, les rideaux, les bars de rideaux, les lumières dites décoratives, les tapis, les matelas, coussins, et accessoires décoratifs. Il y a aussi la vaisselle, les verres, les couverts, accessoires des cuisines, les casseroles, les petits équipements, la télévision et la literie.”
(Business Magazine, 27 mars 2013.)

De nouveaux produits respectueux de l’environnement
[…] Des items qui proviennent d’Europe, conçus par le leader mondial «Rentokil», explique Sébastien Hardy.”
(L’Express, date non précisée.)

Les items se classent dans 4 grandes catégories :
– le bâti, qui constitue le patrimoine construit,
– le culturel, qui correspond aux us et coutumes propres à l’île Maurice,
– l’environnement, qui correspond à des sites naturels ou à des êtres vivants uniques à Maurice,
– les objets, qui sont du matériel ancien dont l’histoire ou le fonctionnement a un intérêt particulier en rapport à la vie mauricienne.
– des personnalités qui ont marquées l’histoire de Maurice
.”
(Site SOS patrimoine en péril.)

Il a expliqué que ce jour-là le ministre des Finances d’alors Rama Sithanen avait présenté le Finance Bill dont le but est de donner force de loi aux mesures budgétaires. Or, a-t-il dit, le gouvernement avait pris la mauvaise habitude de faire de ce texte de loi un Omnibus Bill en y incluant des items qui n’ont rien à faire avec le budget.”
(Le Mauricien, 3 octobre 2013.)

Il ajoute que chaque conseil de district dispose d’un budget sous l’item bien-être et qu’il peut y puiser pour des telles activités.”
(L’Express, 25 octobre 2013.)

En français de France le mot item n’est en général pas utilisé dans le même sens et avec la même fréquence qu’à Maurice. Dans un usage français normal, quoique probablement vieilli, on le trouve comme terme de commerce ou de comptabilité, “item” étant alors souvent un adverbe signifiant “de même”, “en outre”, “de plus” dans un compte, une liste, etc. On le trouve aussi comme terme spécialisé de linguistique en tant qu’élément d’un ensemble (e.g. “items lexicaux”, “items grammaticaux”, etc.). Il arrive aussi qu’il soit utilisé, toujours en France, comme terme spécialisé de l’enseignement, par exemple à propos des “items d’un test”, ou des “items d’un tableau”, et il est à peu près équivalent dans ce cas au mot question, ou à l’expression élément d’appréciation. La plupart du temps il n’est pas utilisé en dehors de ces contextes particuliers, sauf dans des emplois qui relèvent alors de l’anglicisme. Et c’est ce qui a dû se passer à Maurice, et de longue date, là où l’anglais a certainement influencé le français local pour ce qui est de ce mot à consonance latine, un mot qui faisait déjà partie du lexique francophone. Tant et si bien que bien des Martiens sont fort étonnés quand on leur dit que leur usage du mot item n’est pas très français. On retrouve une situation similaire au Canada, pays (partiellement) francophone lui aussi sous influence anglaise. On peut d’ailleurs remarquer que plusieurs gardiens québécois du bon français — c’est-à-dire, en général, du français désanglicisé — font la chasse aux items mal utilisés.

Règlemens sur les arts et métiers de Paris (Etienne Boileau), XIIIe s. Publié en 1837 par G.-B. Depping.

Règlemens sur les arts et métiers de Paris (Etienne Boileau), XIIIe s.
Publié en 1837 par G.-B. Depping.