Baise.
Nom féminin.
Pas de sexe ici. La baise, en français de Maurice, ne relève normalement pas de la copulation : une baise, c’est un problème, une situation difficile, ou c’est une réprimande, une engueulade. L’expression est perçue comme familière, voire un peu rough en certaine compagnie, mais elle ne possède pas de connotation sexuelle explicite.
“Hier on a pris une mauvaise baise avec la pluie.”
“Dépêche-toi de rentrer, sinon tu vas ramasser une baise avec ta manman.”
Quand les ennuis s’accumulent, l’expression de découragement qui vous vient à la bouche peut être “quelle baise…” Et lorsque cette dernière dépasse les limites du supportable, il lui arrive d’être qualifiée de “macabre”, la “baise macabre” étant une sale baise, de celles qui laissent des traces.
Cette absence d’attribut sexuel en ce qui concerne la baise mauricienne fait que l’interjection baisé ! (merde !) et le verbe baiser (donner, prendre, avoir, rester, etc.) engendrent parfois d’amusants quiproquos, comme dans le cas de ces voyageurs mauriciens qui, montés dans un train bondé, s’entendent dire par un contrôleur qu’ils n’auront pas de places assises et rétorquent, énervés : “Alors quoi ! on va baiser debout jusqu’à Paris ?”

Kozé # 3 – Octobre 2014.
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Mise à jour du 23 novembre 2014.
En français standard l’expression a de longue date été associée au fait d’embrasser, c’est-à-dire de presser ses lèvres sur la peau d’une personne ou sur la surface d’un objet (kiss en anglais). Baiser, c’était avant tout embrasser, parfois avec respect et chasteté, parfois avec amour et transport. C’est à partir du XVIe siècle que le verbe a acquis le sens sexuel de “posséder charnellement”, sens qui s’est tellement généralisé que de nos jours, sous peine de faire rire — voire d’inquiéter —, on ne peut plus guère parler de “baiser” quand on veut dire “embrasser”.
Le substantif lié au verbe était avant tout masculin : en français on parle d’“un baiser” depuis le XIe siècle, notamment à propos d’un passage biblique dans lequel Judas, le traître, embrasse Jésus pour le désigner aux Romains venus l’arrêter. Dans une certaine mesure, et à la différence du verbe, le substantif masculin a gardé une certaine neutralité de registre et ne prête pas systématiquement le flanc aux idées grivoises. Parler du baiser d’une mère ou d’un père à son enfant continue de suggérer un tendre tableau.
Par contre les choses se sont corsées lorsque le substantif dérivé de baiser s’est mis à être employé au féminin : en français standard, “une baise” — “la baise” — n’a pas grand-chose à voir avec “un baiser”. Aussi extraordinaire que cela paraisse, ce nom féminin synonyme d’“acte sexuel”, d’“action de baiser”, n’existerait en français de France que depuis 1973 (Petit Robert). La baise n’existerait donc dans l’Hexagone que depuis le dernier quart du XXe siècle. Voilà qui a de quoi laisser songeur.
Ceci expliquerait peut-être en partie pourquoi à Maurice “une baise” — expression employée bien avant 1973 — n’a pas, et n’avait pas, ce sens éminemment sexuel que possède l’expression en France aujourd’hui. Quelque part dans le subconscient du locuteur mauricien lambda doit exister un lien, aussi ténu soit-il, entre le mot baise et la copulation — autrement il n’y aurait pas de gêne à l’utiliser pour converser par exemple avec la tante de votre épouse —, mais le mot, appartenant quand même au registre familier, est largement dépourvu de caractère sexuel dans une grande majorité de cas.
— Ayo, personne n’est venu, grande baise…
— Elle lui a fichu une baise.
— On a pris une baise terrible pour changer la roue de la voiture.
— Tu n’as pas fait ce que tu devais faire, et maintenant la baise est mûre.
— J’ai perdu mon portefeuille et mes clefs de voiture, je suis dans une mauvaise baise là.
Ces phrases sont toutes dépourvues de sexualité. Tout au plus suggèrent-elles que la personne qui s’exprime ainsi jouit d’une certaine familiarité dans ses relations avec la personne à qui elle s’adresse, ou qu’elle est passablement énervée.
Il peut être noté que nos voisins réunionnais ont une expression similaire possédant des sens et des registres similaires. Mais pour une fois le mot bourbonnais est un peu différent : là où à Maurice on parle d’“une baise”, à la Réunion on parle d’“un baisement”. — “Ce même jour, dans cette même lettre, il annonce à F. qu’elle va prendre ‘un baisement’.” (Le Quotidien de la Réunion, 18 janvier 1992.)
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“Le comportement de Bérenger est absolument lamentable. C’est un autocrate vieillissant qui n’a pas su préparer la relève. Il n’a plus aucune conviction ni aucune fierté. En face de lui Ramgoolam est un excellent manipulateur dont la seule ambition est de rester au pouvoir. Les Mauriciens sont vraiment dans une grande baise…”
(Forum de L’Express.mu, commentaire du 27 avril 2014.)
“L’importateur me dira : « Ce n’est plus rentable, j’arrête de faire venir ce produit. » Vous imaginez la suite: Soodhun a foutu une baise… Ne rien faire n’était pas non plus la solution, on me serait tombé dessus. J’ai trouvé une solution intermédiaire qui n’est pas si mauvaise que ça.”
(Interview du ministre Showkutally Soodhun, L’Express, 28 mars 2011.)
“– Et alors, moi je mets de force la télé sur la MBC, après avoir attrapé une baise avec les enfants qui voulait voir je ne sais quel clip sur une autre chaîne.”
(Forum Radio Moris, 31 août 2008, probable retranscription d’une chronique de Jean-Claude Antoine.)
“Le chanteur ajoute qu’« Exiler dan l’enfer » est un clin d’œil pour ces Mauriciens qui « pe ramasse baise dehors ».”
(Le Défi, 19 octobre 2014.)
“Le Président du MTC a exhorté ses invités à «aider» une nouvelle publication «dans bez»”
(Week-End, 24 août 2014.)