Filling.
Nom masculin.
Station-service.
“On se retrouve à 10 heures au filling Total à la croisée entre la route de Quartier Militaire et la route de Bel Air, right ?”
“Aujourd’hui, le village d’Astérix a été reconstruit au Québec, parmi les derniers à résister, les seuls à inventer joliment babillard, courriel, clavardage et pourriel pour dire notice-board, e-mail, chat et spam. A Paris, au contraire, il est tendance de ne plus dire réunion, conseil d’administration ou styliste, on leur préfère meeting, board et designer. A Maurice, où nous n’avons pas attendu ces récents effets de mode pour correspondre sur des air-letters, boire notre tisane ayapana dans un mug et faire le plein de super au filling, l’anglais est déjà partout.”
(L’Express, 7 avril 2013.)
“Certains gérants de filling* ont même cessé la vente du gaz ménager, alors que d’autres ont opté pour une réduction « progressive » de leurs activités.”
(Week-End, 15 octobre 2006.)
* filling mis en italiques dans l’article du journal
“Plus aucune carte dans les filling”
(L’Express, 20 janvier 2006.)
“Le programme de l’événement proposé par le comité organisateur de l’Ouest est comme suit. 17h : départ de deux Fanfares du Filling Esso et de la Gare de Bus de Flic-en-Flac au Terrain de football de Flic-en-Flac. 18h : spectacle par les artistes des hôtels sur le terrain de football de Flic-en-Flac jusqu’à 22h. Et à 22h : feux d’artifice. Spectacle gratuit.”
(Week-End/Scope, 7 mars 2008.)
“Dans Beau-Bassin acotte mo resté, éna 4 fillings situés presque à quelques mètres l’un de l’autre!”
(L’Express, commentaire d’article, 24 mars 2013.)
“La voiture (…) a repris sa route en direction de Port Louis, mais a fait halte auparavant dans un ‘filling’ de Rose Hill (…). Une fois le plein fait, ils ont refusé de payer et sont partis.”
(Week-End du 29 mai 1988, cité dans Mille mots du français mauricien, Pravina Nallatamby.)
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Il ne devrait pas faire de doute que l’expression mauricienne “filling” provient de la langue anglaise, les Britanniques étant les maîtres à Maurice lorsque les véhicules automobiles à essence sont apparus sur l’île. On peut remarquer toutefois qu’en anglais de Grande-Bretagne l’expression usuelle pour parler d’un filling est “petrol station”. Si le Collins (unabridged) mentionne bien l’expression “filling station” (a place where petrol and other supplies for motorists are sold), celle-ci n’apparaît pas dans l’Oxford English Dictionary (Shorter), tout au moins dans l’édition dont je dispose (3rd edition, reprinted 1967). Dans ce dictionnaire le mot filling n’apparaît qu’en relation avec le fait de remplir (to fill), avec ce qui sert à remplir ou avec quelque chose de qualité inférieure servant à remplir l’espace, ainsi qu’avec un terme technique de brasseur. Cependant l’excellent site etymonline.com précise ceci : “filling (n.) – verbal noun from fill (v.). Dentistry sense is from 1848. Filling station attested by 1921.” On aurait donc une trace de l’expression filling station en anglais depuis 1921.
D’après le Trésor de la langue française (version informatisée), l’expression station-service est attestée en français depuis 1932, dans un dictionnaire anglais-français. Cette date correspond à celle figurant dans le Dictionnaire historique de la langue française, qui parle en l’occurrence de “calque de l’anglais service station”. Ce dernier précise à ce sujet qu’en français d’Afrique on utilise l’expression essencerie, ou kiosque au Maghreb, ce qui se vérifie facilement grâce à Google.
Si l’expression station-service est utilisée en français de France depuis 1932, on est en droit de se demander quand est-ce que l’expression filling a commencé à être d’usage courant à Maurice lors de conversations se tenant en français ou en créole. Sans doute date-t-elle, à quelques mois ou années près, de l’apparition des fillings eux-mêmes. Je ne saurais malheureusement pas dire en quelle année le premier filling a commencé à vendre de l’essence au public mauricien, mais en 1969 les habitants de l’île employaient suffisamment fréquemment l’expression pour que Nadia Desmarais, dans son Dictionnaire des termes mauriciens, tienne à faire savoir que l’expression en français correct est “station service”. Pourrait-on faire un wild guess en supputant que cela a dû se passer dans les années 50 ? À moins que, le progrès arrivant à Maurice à fond de train à cette occasion-là, il ne faille parler des années 40, voire des années 30.●