Ci-dessous on peut voir l’île Ronde telle que figurée sur la carte d’Alexandre Descubes (1880). Le nom anglais “Round Island” y apparaît comme le nom principal, au-dessus de la mention “Ile Ronde”, elle-même à côté du nom d’“Ile Blanche” qui, selon Descubes, lui aurait été donné par l’abbé de La Caille. Ceci semble être une erreur, la carte en question (1753) appelant “île Blanche” l’îlot connu aujourd’hui sous le nom de “Pain de Sucre” ou “Pigeon House Rock” et apparaissant sous le nom de “Colombier” sur la carte de Descubes, “Colombier” que l’on retrouve cependant sur une carte dressée en 1751, “suivant les observations de M. D’Après de Mannevillette”. Pour sa part, la carte de l’abbé de La Caille (1753) porte bien la mention “I. Ronde” pour notre île Ronde d’aujourd’hui.
De façon amusante, des deux îles voisines, l’île Ronde et l’île aux Serpents, c’est la seconde qui est la plus blanche (à cause du guano, ce qui se voit même de l’espace) et la plus ronde (vue de Maurice), alors que les serpents — deux espèces de boas endémiques, dont une probablement éteinte — ne se rencontrent que sur l’île Ronde. La toponymie prend parfois des libertés qu’il pourrait être judicieux de corriger — s’il était possible de renverser les habitudes prises de longue date par les habitants d’un lieu.

Sur la carte de Descubes figurent quelques noms donnés à certains éléments remarquables de l’île Ronde, des noms en général inconnus du grand public : anse de la Petite Vallée, pointe Corinthien, pointe Matapan et, entre ces deux pointes-là, Le Goorgooree. Ce dernier nom, correspondant à ce qui reste du cratère originel, est à mettre en parallèle avec un outil utilisé sur les chantiers de bâtiment pour plier les fers à béton, le gourgouri (voir ce billet du 9 novembre 2009), mot qui, dans un contexte plus ou moins anglophone, aurait aussi pu s’écrire goorgooree (voir par exemple l’ancienne graphie Hindoo encore visible au cimetière de Phoenix, ou les graphies Sunnee ou Surtee). Ce goorgooree-là renvoie vraisemblablement à une pipe, l’outil et la caldera égueulée faisant tous deux songer à un brûle-gueule par analogie de forme.

Le nom île Ronde est un héritage des Hollandais qui, au XVIIe siècle, l’appelaient Rond Eylandt. Toutefois, selon le Dictionnaire toponymique de l’île Maurice (voir ci-dessous), elle apparaîtrait sous le nom d’“Ile aux Chiens”, Het Honden Eylandt, sur la carte hollandaise N°334, ce qui n’a pas manqué d’étonner vu l’absence de ces carnivores sur une île avant tout peuplée d’oiseaux marins et de reptiles. Le dictionnaire en question avance l’hypothèse d’une erreur typographique ayant transformé Rond en Honden. Ceci est fort possible, compte tenu des nombreuses erreurs ayant eu lieu lors du recopiage des documents, comme on l’a vu précédemment, dans un billet sur l’île aux Bénitiers, dans le cas de Mahébourg apparaissant en tant que “Malie-Bourg” sur la carte d’un cartographe flamand.

L’île Ronde vue de l’île aux Serpents, Maurice se trouvant en arrière-plan.
(Dictionnaire toponymique de l’île Maurice – No 2, 1998.)
Au XIXe siècle des cabris (chèvres) et des lapins furent lâchés sur l’île Ronde, ce qui causa des bouleversements catastrophiques à l’écosystème unique de cette île d’à peine plus de 200 hectares. La couverture végétale fut grandement affectée, ce qui eut pour conséquence une grave érosion de la couche de terre superficielle. Il n’est pas interdit de penser que cette dégradation de l’environnement de l’île est en grande partie à l’origine de la disparition du boa fouisseur (Bolyeria multicarinata), dont le dernier spécimen vivant fut observé en 1975 par une équipe de l’université d’Édimbourg. Sur l’île Ronde se trouvent des espèces de reptiles ou de palmiers uniques au monde, tels les boas mentionnés plus haut ou le scinque Leiolopisma telfairi, ou le palmiste bouteille Hyophorbe lagenicaulis, et depuis 1957 l’île est devenue une réserve naturelle dont l’accès est désormais restreint et très étroitement encadré.
