Un vingt-deux septembre au diable vous partîtes,
Et, depuis, chaque année, à la date susdite,
Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous…
Dans le Dictionnaire du créole mauricien de Philip Baker et Vinesh Y. Hookoomsing on trouve une entrée pour le mot sektam (prononcé “sec-tamme”, [sektam]), laquelle renvoie à l’entrée principale septam, septembre, le neuvième mois de l’année comme son nom l’indique si bien. Selon ces auteurs, donc, il existerait une prononciation alternative (son [k]) à la prononciation normale (son [p]).
Sans doute n’ai-je pas toujours bien prêté l’oreille lorsque quelqu’un mentionnait en ma présence le mois de l’équinoxe de “printemps”, mais je n’ai pas l’impression d’avoir jamais entendu qui que ce soit dire “sektam”. Le Diksioner morisien d’Arnaud Carpooran, lui, n’a d’entrée qu’à septam (“Neviem mwa lane. Le 9 septam bann kretien selebre Fet Per Laval. ■ Fr. septembre ; Ang. September”). Nul sektam chez le normalisateur patenté du créole mauricien.
Baker et Hookoomsing citent le FEW (Französisches Etymologisches Wörterbuch), volume 11, page 480, pour mettre en avant le fait que dans la région de Beauvais, en France, il existe une prononciation [sektɑ̃b], alors que dans le Maine et à Saint Victor (lequel ?), ainsi que dans le Poitou (?) et la Saintonge (?), on trouve un sectembe. Mais est-ce bien pertinent tout cela ? Qui, ici, a déjà remarqué que des Mauriciens prononçaient sektam quand ils parlaient du mois de septembre ?
Le vingt-deux septembre, aujourd’hui, je m’en fous,
Et c’est triste de n’être plus triste sans vous.
Selon Wikipédia, cette année-ci l’équinoxe (déclinaison solaire nulle) a lieu le 22 septembre à 14:48:59 GMT. Il nous reste donc un peu moins de deux heures (“de temps”) avant que la chose n’arrive…
Sektam ? Non, mé septamm, oktamm, novamm, wè ! 🙂
Je me suis amusé à chercher « sectembre » dans Google, on trouve effectivement quelques allusions à ce mot en tant que mauvaises prononciations.
Il semblerait que Proust l’ait utilisé pour se « moquer » d’un personnage dans un de ses livres. Cela tournerait autour du refus de Proust de nommer précisément les moments de l’année; cette mauvaise orthographe n’aurait été qu’une dérogation à son « aversion »(?).
Mais ce qui a plus retenu mon attention c’est ce dictionnaire français-seychellois qui donne sektanm comme mot principal, avec pour variation septanm; cela proviendrait du français dialectal « sectembre ».
Cette forme serait aussi utilisée dans le parler populaire des Canadiens français.
Bonne pêche, Zippo !
Le Parler populaire des Canadiens français ou Lexique des canadianismes, acadianismes, anglicismes, américanismes (1909) :
Ajouté au fait que selon Danielle D’Offay et Guy Lionnet la prononciation “mainstream” aux Seychelles est [sektɑ̃m], cela amène de l’eau au moulin de MM. Baker et Hookoomsing, qui ont probablement dû s’inspirer de Chaudenson pour ce qui est d’attribuer une origine française dialectale à cette particularité de la phonologie du créole mauricien.
Hier au soir nous étions un petit groupe autour d’une table et lorsque la prononciation “sektam”, en tant que sujet de conversation, est arrivée sur ladite table, au moins deux tiers des personnes ont dit ne l’avoir jamais entendue. Parmi le tiers restant, certains pensaient l’avoir déjà entendue et ils l’associaient à des gens “de la campagne”, soulignant que, selon eux, ceux parlant le bhojpuri avaient davantage de probabilité que les autres de le prononcer avec le son [k]. (Il me semble qu’à Maurice on associe facilement, si ce n’est automatiquement, les locuteurs de bhojpuri avec les campagnards.) L’un de ceux formant le tiers avait même tendance à s’échauffer en disant que cette prononciation-là — “sektam” — l’énervait lorsqu’il l’entendait.
Hmm, faudrait que j’évite ce troisième tiers, kaav gaign kongolo; depuis deux jours, je me demande si je ne dis pas set-tam.
Et pourtant, je me suis fait corriger un ‘p’ de trop par ma fille: on ne dit pas « sculP-ture » mais « scul-ture » ! Logiquement je devrais dire sePtam.
En effet, Zippo, dans sculpter, sculpteur ou sculpture on n’entend pas le -p, mais pour ce qui est de sculpturesque ce n’est probablement pas aussi tranché.
Un collègue de bureau disait aujourd’hui que c’est chez les “grands dimounes”, chez les gens d’un certain âge, qu’on entend surtout la prononciation [sektam]. Et que, toujours selon lui, cette façon de dire tendait à disparaître.
The /p/ in English sculptor was originally a spelling pronunciation, it seems.
John, the letter -p in the English noun sculptor is still pronounced as far as I know. (You can also hear it being uttered on thefreedictionary.com website.) Do you mean it wasn’t pronounced at some stage and was subsequently pronounced because the word was written with a -p? Well, the Latin verb sculpere, to carve, had a -p, and so had the noun to which it gave birth, sculptura. I’m not too sure why the letter -p isn’t pronounced in the French words sculpteur and sculpture.
Si j’en crois Structure And Variation in Language Contact
d’ Ana Deumert,et Stéphanie Durrleman, la prononciation sectembre ( comme icitte pour « ici » ou chesse pour « sèche ») serait d’origine dialectale française et aurait été transportée outre-mer par les colons au XVIIè siècle, ce qui explique qu’on peut retrouver aujourd’hui ces mots tels quels en Acadie, en Louisiane, aux Antilles comme dans l’océan Indien.
Ceci dit, je n’ai jamais entendu quelqu’un prononcer « sektembre ». En Provence, on aurait même plutôt tendance à oublier le -p- pour prononcer quelque chose comme « sétembre » — avec un accent plutôt aigu sur le premier -e-, qui plus est!
Leveto, il est intéressant de savoir qu’à Haïti aussi on trouve une prononciation issue de sectembre, lequel serait donc bien un régionalisme français. (Si Étienne, du Canada, passait par ici, il est possible qu’il aurait pu nous en dire davantage, lui qui prépare un opus sur les créoles.)
Dans le livre que vous citez, on peut par ailleurs lire qu’à Haïti on tend à appeler la poitrine “estomac”, une entorse à la langue qu’on retrouve tant à Maurice qu’à la Réunion, où l’estomac peut être ce qui sert à respirer, autrement dit les poumons. (Le vrai estomac, lui, peut être appelé “pied de cœur” à la Réunion, ce qui me rappelle l’anecdote racontée par ce médecin à qui un habitant des hauts réunionnais disait avoir un problème au pied de cœur. Alors qu’il demandait au patient où est-ce qu’il se trouvait, ce pied de cœur-là, il eut pour réponse un regard méfiant et la repartie suivante, en créole bourbonnais, “vous êtes un vrai docteur vous?”)
En Provence, on aurait même plutôt tendance à oublier le -p
Comme Gro Zippo donc ?
John, it seems that in the 17th century the -p of sculpter / sculpture was pronounced, but that it disappeared in popular speech due to the 3 consecutive consonants. At the end of the 18th century the Académie said that the pronunciation without [p] was the correct one, and this has been in all dictionaries ever since. In English the -p sound from Old French is still in use. However, it is not used anymore, it seems, in Spanish (escultura) or Italian (scultura), which both removed it from the written form as well — something French didn’t dare do.
Je n’ai pas grand-chose à ajouter, sauf que la prononciation de « septembre » avec /kt/ plutôt que /pt/ semble bel et bien être un héritage du français du dix-septième siècle, à en juger de sa distribution géographique en France comme en dehors de l’hexagone (ce n’est pas une prononciation que je connais ou utlise moi-même, quoiqu’il faut dire que le /p/ ou le /k/ initial d’un groupe de deux consonnes se ressembleront beaucoup au niveau de la perception acoustique).
Son origine m’intrigue un peu plus: je me demande s’il ne faudrait pas y voir une influence du mot « octobre »: /kt/ étant plus fréquent que /pt/ en français, on comprend pourquoi le /pt/ aurait été remplacé par /kt/ plutôt que le contraire. Une situation semblable se retrouve ailleurs dans le monde des langues romanes: en Dalmate (langue morte autrefois parlée sur la côte dalmate, dans ce qui est aujourd’hui la Croatie) le mot « huit », issu du latin OCTO, était « guapto ». On a longtemps cru que ce /pt/ devait être l’aboutissement phonologique normal du /kt/ latin, ce qui rapprocherait le dalmate du roumain, où ce changement est en effet régulier: en roumain on a « opt » issu du latin OCTO (huit), « noapte » issu du latin NOCTEM (nuit), « fapt » issu du latin FACTUM (« fait »: en roumain moderne il ne s’agit que du nom, le participe passé du verbe « faire » ayant été remplacé par une nouvelle forme plus régulière)…sauf que voilà, en dalmate on ne trouve pas d’autres exemples de ce passage de /kt/ à /pt/: en fait l’aboutissement normal de /kt/ en dalmate semble être /jt/ (ainsi, FACTUM a donné /fajt/), ce qui rapprocherait le dalmate des langues romanes occidentales, dont le français. On explique aujourd’hui le /pt/ de « guapto » par l’influence du mot « sapto », « sept », (issu du latin SEPTEM). Je *devine/soupçonne* qu’un processus analogue serait à l’origine du /kt/ de « septembre ».
je me demande s’il ne faudrait pas y voir une influence du mot “octobre”
Étienne, voilà qui rejoindrait ce que disait Gro Zippo dans le 2e commentaire — bien que de sens contraire — lorsqu’il évoquait l’influence que pouvait avoir la terminaison de septembre et novembre sur octobre, prononcé “oktam” (octembre), prononciation que je ne me rappelle toutefois pas avoir vraiment entendu.
Mais en créole mauricien il existe d’autres exemples de migration vers le son [k]. Je pense par exemple au letchi, prononcé normalement letsi en créole, mais qui est aussi fréquemment appelé leksi. (Le Diksioner morisien de Carpooran a deux entrées pour ce fruit-là, la version principale étant donnée comme letsi.) Si j’y pense suffisamment longtemps, je pense pouvoir trouver d’autres exemples de consonne devenue [k] lorsqu’elle précède une autre consonne.
A contrario, il existe aussi des exemples de [k] devenu [t] en créole mauricien. Par exemple kiksoz (quelque chose), aussi prononcé, et écrit, kitsoz. Ou kikpar (quelque part), aussi prononcé kitpar. (Au sujet de ce mot, kikpar est la forme principale pour Carpooran, et même la seule, alors que c’est kitpar pour Baker & Hookoomsing.) Ou encore kikfwa (peut-être, mot issu d’un “quelquefois” ayant semble-t-il pu signifier “peut-être” dans certaines formes dialectales de français), aussi prononcé kitfwa, cette dernière forme étant l’unique possibilité donnée par Carpooran.
Le passage de [pt] en [kt] n’est toutefois pas systématique, e.g. tipti (petit), kaptivé (captivé, un mot un peu “savant” toutefois), optik, optimal, etc.
Septembre existait sous la forme sietembre au XIIe siècle :
« Se li sietembres tient le [la] nature de l’esté… » (Aldebrandin de Sienne, dit Alebrant, Livre de phisike, dit Régime du corps).
On le trouve en gallo avec la graphie sectembr.
Sectembr en gallo, sans -e final ?
Quoi qu’il en soit, si tel est le cas il ne semblerait pas que la prononciation du nom du neuvième mois de l’année avec un son [k] soit particulièrement rare en France, tout au moins pour ce qui est des parlers régionaux.
Sans « e » à la fin ! C’est la graphie qui a été retenue. Et au niveau de graphie, il est difficile de faire l’unanimité. On le voit bien en créole !
À qui le dites vous ! Sous le gouvernement précédent on a pondu un système soi-disant harmonisé de la graphie du créole, Grafi Larmoni. On a créé une Akademi Kreol. On a dorénavant un Diksioner morisien. Dans la vie courante presque tout le monde — des instances gouvernementales aux publicitaires en passant par le citoyen lambda — s’en fiche éperdument. Seuls certains journalistes semblent vouloir jouer le jeu, et encore…
Il me semble que le choix d’une graphie de l’occitan, du provençal ou du romani (ou rrom, avec deux -r successifs) a donné lieu à pas mal de débats aussi. Et c’est sans parler des différentes propositions de réforme de l’orthographe du français…
Effectivement, vaste débat qu’est la graphie ! À la Réunion, cela déchaîne toujours les passions. Entre les kwz que cherchent à imposer une minorité de pseudo-intellectuels et de politiciens qui veulent donner l’illusion que le créole ne vient pas du français et la majorité qui ne l’accepte pas ou qui s’en moque !
« Il me semble que le choix d’une graphie de l’occitan, du provençal ou du romani (ou rrom, avec deux -r successifs) a donné lieu à pas mal de débats aussi. Et c’est sans parler des différentes propositions de réforme de l’orthographe du français…»
En ce qui concerne l’occitan et le provençal, le débat fait encore rage aujourd’hui; des associations qui devraient se liguer pour préserver la langue commune préfèrent en découdre entre elles pour affirmer la supériorité supposée de sa version. On en est encore à l’affrontement Mistraliens contre Classiques … Ce n’est pas demain qu’on verra une graphie unifiée de la langue d’oc.
La langue est un des véhicules fondamentaux de l’identité d’un peuple, y toucher est souvent perçu comme un attentat, un sacrilège … d’où ce conservatisme qui fait échouer les tentatives de réforme de l’orthographe, du moins en France.