Attes rouges

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Pour la première fois hier j’ai goûté une atte dont la couleur n’était pas le vert habituel, tendant parfois vers le vert teinté de jaune, mais un brun-rouge rosé pouvant tirer sur le violacé.

Attes rouges sur un étal de Port-Louis.

Attes rouges sur un étal de Port-Louis.

En décembre 2009 Martian Spoken Here avait publié une note sur les attes qui ne faisait pas mention de l’origine du mot. Ce grave oubli se doit d’être corrigé : le mot atte serait d’ascendance américaine, les langues autochtones du Nouveau Monde ayant été à l’origine d’un petit nombre de mots spécifiquement utilisés à Maurice, à l’instar des mots mapou ou manglier.

Dans Mille mots du français mauricien (1995), Pravina Nallatamby mentionne le tukuna comme langue d’où serait issu l’atte, une langue d’Amazonie dans laquelle, selon Robert Chaudenson, aurait existé le mot atta. Et c’est ce mot qui aurait donné atte, et ce dès avant les années 1760, l’abbé de la Caille le mentionnant en 1763, sous la graphie athe, dans son Journal historique du voyage fait au cap de Bonne-Espérance (page 237). Cette hypothèse quant à langue d’origine me paraît plutôt improbable compte tenu de la zone géographique occupée par les Tukuna (ou Tucuna, ou encore Ticuna), à savoir le haut bassin amazonien aux confins du Brésil, du Pérou et de la Colombie, une zone dans laquelle la culture de l’Annona squamosa semble peu probable, et une zone très isolée encore moins susceptible d’avoir fourni un mot au français parlé dans l’océan Indien.

Bernardin de Saint-Pierre évoque lui aussi le fruit en question dans son roman Paul et Virginie (page 65), mais sous une graphie différente de celle utilisée par l’abbé de la Caille :

Paul et Virginie.

Paul et Virginie, 1787.

De nos jours il arrive que le mot se retrouve dans la presse, bien que de façon relativement peu fréquente :

Aujourd’hui, Vishnu Seepersand donne libre cours à sa passion de toujours : les plantes. Il s’occupe seul d’un verger de 25 perches : des fougères, des fleurs et des plantes potagères. On trouve dans sa plantation, des fruits rares comme l’amla, l’atte, le corossol, le cœur de bœuf et le cœur de demoiselle et des fleurs comme l’ilang-ilang ou encore des légumes peu connus comme la grenadine-cari et la pomme de l’air.”
(L’Express, 4 mars 2008.)

Est également prévue la création de cinq vergers modèles dans cinq régions différentes pour la mangue, l’atte, l’atemoya, le jacque, le fruit à pain, l’avocat, la pamplemousse, le corossol, le bilimbi, entre autres.”
(Le Mauricien, 16 janvier 2013.)

Pour sa part Pravina Nallatamby en parle en ces termes dans son entrée consacrée au mot atte : “Fruit globuleux de l’attier, à peau verte, légèrement écailleuse, ayant des graines noires, une pulpe blanche, molle et sucrée.” Dans ce cas les fruits ci-dessous ne répondent pas exactement à cette définition.

Attes_rouges_76

De façon étonnante le Dictionnaire Historique de la langue française, rédigé sous la direction d’Alain Rey, comporte une entrée pour les mots atte et attier, et il précise que le mot est “surtout vivant en français de l’océan Indien, notamment à Maurice”. Cet ouvrage de référence mentionne lui aussi le tukuna comme langue ayant donné naissance au mot “français” atte. À se demander si Alain Rey et ses collaborateurs ne se sont pas contentés de répéter ceux qui ont répété les propos du créoliste Robert Chaudenson.

Atte--DHLF_(2010)_page_144

Il est à noter que le mot utilisé dans certains pays où l’atte est cultivée peut se rapprocher du mot utilisé à Maurice. Sur la page de Wikipedia consacrée à la “sugar apple” on voit par exemple que, en sus du mot ata employé au Brésil comme l’avait signalé Leveto en décembre 2009, aux Philippines le fruit serait appelé atis, alors qu’il serait connu sous le nom de aajaa thee en Birmanie est sous le nom d’ata en Inde. On peut imaginer que ces appellations ont été peu ou prou influencées par le portugais (ata, ateira). Si au bout du compte le mot est bien issu du tukuna, il serait extraordinaire de voir à quel point une langue parlé par une tribu du fin fond de la jungle amazonienne a pu avoir une influence, aussi minime soit elle, sur tant de langues parlées dans des contrées extrêmement éloignées des rives du Solimões.

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16 réponses à “Attes rouges

  1. lorraine Lagesse

    Salut a tous..OUI je connais ces attes rouge elles me semblent moins crémeuse que les vertes…
    ATTE — custard apple– nom botanique — Anona squamosa, introduit a L Ile maurice par Mr LeJuge…

  2. Siganus Sutor

    Est-ce ce monsieur-là qui aurait fait venir les mangues aussi à Maurice ?

    Pour les avoir mangées, dorénavant, j’ai trouvé les attes rouges aussi crémeuses que les vertes. J’en achèterai encore si j’en ai l’occasion.

    Quant à leur nom en anglais, j’avais parlé moi aussi de “custard apple” dans la note de décembre 2009, mais il semblerait que “sugar apple” soit plus fréquemment utilisé — à moins qu’il s’agisse encore d’une de ces différences entre Britanniques et Américains.

  3. lorraine Lagesse

    OUI il a aussi importé la mangue,le corossol et le coeur de boeuf..Vous voila MR avec une ascendance fameuse & qui avait p etre le palais fin et l art des bonnes choses….d ou le nom de ses terres «  »MONGOUT »!!!!

  4. Siganus Sutor

    Pourtant dans Histoire des plantes d’intérêt horticole, médicinal et économique à l’île Maurice Rouillard et Guého disent ceci à propos de l’attier :

    Rivals avance même qu’elle ‘fut introduite à Maurice dans le jardin de M. Le Juge’. Elle ne figure cependant pas dans la liste des plantes cultivées à Mon Gout en 1763.”

    Les auteurs ajoutent par ailleurs à propos de la plante que “dès la découverte du Nouveau Monde elle a été transportée dans l’Ancien, notamment par les Portugais. Elle s’est si bien naturalisée en Asie tropicale que certains auteurs ont pu l’en croire originaire.”

  5. lorraine Lagesse

    Effectivement IL n est pas mentionné que ces fruits poussérent a Mongoust(mais il y avait des agrumes) quoique cela eut été normal …mais la source de l info est de L almanac de L Ile maurice 1837

  6. Merci pour ce poste . Hier en faisant les courses au Marché Jean Talon à Montréal, j’ai vu les attes vertes. Comme j’avais oublié le nom, je ne pouvais pas les nommer- j’ai juste dit à mon mari qu’elles sont crémeuses et sucrées à Maurice.J’en achèterai la prochaine fois ( c’était pas donné) car j’avais déjà d’autres fruits dans mon panier. Comme les ananas, elles viennent de l’Amérique latine.

  7. Siganus Sutor

    Lorraine, parmi les exemplaires du ‘Mauritius Almanac’ que j’ai en ma possession le plus ancien ne date que de 1863, et il ne parle pas des fruits de Maurice. Qu’est-il écrit exactement dans celui de 1837 ?

    Beaver, à Maurice aussi les attes sont relativement chères quand on compare leur prix avec celui des pommes importées de l’étranger. C’est un fruit fragile, qui se désagrège facilement une fois mûr, et de ce fait il voyage mal. Je ne sais pas si celles qu’on trouve à Montréal viennent des bords de l’Amazone ou d’une région moins retirée, mais je pense quoi qu’il en soit qu’elles ne peuvent être acheminées jusqu’au Canada qu’au prix de grandes précautions — et rapidement, car elles mûrissent vite.

  8. « Cette hypothèse quant à langue d’origine me paraît plutôt improbable compte tenu de la zone géographique occupée par les Tukuna (ou Tucuna, ou encore Ticuna), à savoir le haut bassin amazonien aux confins du Brésil, du Pérou et de la Colombie, une zone dans laquelle la culture de l’Annona squamosa semble peu probable, et une zone très isolée encore moins susceptible d’avoir fourni un mot au français parlé dans l’océan Indien. »

    Les Tukunas ne cultivaient pas l’atta, ils se contentaient d’en cueillir les fruits, puisque l’attier faisait partie de la flore locale!
    Ce sont les Portugais qui, lors de leur exploration de l’Amazone ( notamment Pedro Teixeira Albernaz en 1638) croisèrent cette tribu et en ramenèrent, entre autres*, la plante, son fruit et son nom indigène.

    Les Portugais étaient aussi très présents en Asie du Sud-Est, comme dans l’océan Indien et le Pacifique: ils y ont très tôt — dès le XVIè siècle — introduit cette plante, son fruit … et son nom.

    Le passage de ce mot tucuna au portugais puis au français s’explique sans doute par le commerce — bien que le fruit devait être rare sur les étals à Paris au XVIIè siècle!

    Et quand les Français sont arrivés à la Réunion, sur Mars et ailleurs, le créole est né. Plus tard, quand la pomme cannelle a fait son apparition, le créole s’est emparé du mot ata lui rappelant atte que le français avait sans doute quelque peu oublié.

    Enfin, c’est ainsi que je vois les choses ( pour la partie brésilienne, je m’appuies sur l’História do Brasil de Pedro Calmon).

    * Ils cultivaient aussi une variété amère de manioc qui allait devenir, sous la forme de farofa une des composantes principales de la feijoada, le plat national brésilien.

  9. « je m’appuies » écrivais-je pas plus tard que tout à l’heure.

    Après vérification minutieuse, je confirme être tout seul dans mon corps: le -s- du pluriel ne s’impose donc pas.
    J’aurais donc dû écrire et vous auriez alors lu « Je m’appuie ».

  10. Siganus Sutor

    Leveto, je m’incline devant votre érudition. Et vous remercie pour votre précieuse contribution. Va donc pour un mot issu de la langue des Tukuna, cette tribu du fond de l’amazone qui aurait ainsi influencé le vocabulaire de plusieurs autres langues du monde. Mais je m’interroge quand même quant à la date à laquelle les Portugais ont fait connaissance avec ladite tribu habitant près du Solimões (partie amont de l’Amazone) par rapport à la date à laquelle le fruit a été « exporté » par eux (dès le XVIe siècle dites-vous).

  11. L’História do Brasil de Pedro Calmon ne donne pas de détails sur ces aventuriers portugais qui ont parcouru l’ Amazone. Il y est simplement dit que ces derniers ont profité de la descente du fleuve en 1541 par l’Espagnol Orellana et de la description qu’il en fit pour s’engouffrer dans cette région — description qui fut à l’origine du mythe de l’El Dorado : il fut attaqué par de farouches guerrières, d’où le nom donné au fleuve et le mythe du « pays doré » dont elles étaient censées être les gardiennes.
    C’est sans doute au cours d’une de ces expéditions exploratrices que l’ata fut découverte. Pedro Calmon s’attarde beaucoup plus longuement sur le manioc ( pour cause de plat national, cf. mon com précédent) qui fut introduit en Afrique — au Congo — autour de 1600.
    On peut supposer que l’ata ait voyagé à peu près à la même époque.

    P.S. Sur ce coup là,mon érudition n’est que livresque! Mon seul mérite en l’occurrence est d’avoir à ma disposition le livre où chercher les informations . Doctus cum libro, vous dis-je!

  12. Repentir:
    l’info importante que je voulais privilégier en graissant la police est que dès 1541 le cours de l’Amazone est connu grâce à la descente qu’en fit Orellana depuis les Andes jusqu’à l’embouchure. Les Portugais n’avaient plus qu’à faire le chemin inverse.

  13. Siganus Sutor

    Leveto, vous avez une bibliothèque qui, régulièrement, se révèle être une mine d’or — un véritable eldorado. Le Quillet est en bonne compagnie.

    Mais une chose me chiffonne encore un peu : ici les attes poussent dans les régions sèches. Je n’ai jamais parcouru l’Amazone, que ce soit de haut en bas ou de bas en haut (les femmes guerrières m’intimident), mais j’imagine que le climat doit être plutôt humide, pour ne pas dire très humide, dans la zone habitée par les Tukuna. Dès lors je ne peux m’empêcher de me demander si c’est bien là la région d’origine du délicieux fruit.

  14. Siganus, vous soulevez-là une question … à laquelle je ne peux pas répondre!
    Quelques clics m’ont permis néanmoins de trouver quelques infos :

    « L’attier se rencontre sur les bords des rivières » sur ce site

    Wiki nous dit ceci à propos d’une autre annone
    « Le corossolier est exclusivement originaire des forêts tropicales: Caraïbe, Amérique Centrale et du Sud, mais il est très abondant en forêt amazonienne principalement au Brésil et au Pérou »

    Si le corossolier pousse en Amazonie, pourquoi pas l’attier ?

  15. Lorraine lagesse

    réponse a Siganus
    JAI écrit ce qu il y a dans l almanach MR., ..toute une page et plus sur les fruits etc etc importés par ces messieurs.d antan……

  16. Siganus Sutor

    Ça serait possible d’avoir un scan ou une photo de cette page-là ?

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