Rayer

Rayer.
Verbe transitif.

1. Dans le cas d’une affaire judiciaire, la retirer, l’annuler, déclarer un non-lieu (“strike the case (out)” en anglais — et on pourra penser à ce sujet à la balise HTML [strike], laquelle sert à rayer, à biffer un passage).

Proces_rayé_32Affaire Air Mauritius: Le procès criminel contre Tirvengadum rayé”.
(Le Mauricien, 17 janvier 2012.)

Sodomie alléguée : procès rayé contre le Britannique d’origine irakienne
(Le Défi, 26 janvier 2012.)

Malgré que le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) ait rayé la charge de ‘giving instructions to commit crimes’ contre le leader du Hizbullah, il se peut qu’il loge une autre charge contre Cehl Meeah dans l’affaire Gorah Issac.”
(5-Plus Dimanche, 2 novembre 2003.)

L’ex-détenu accuse sir Gaëtan Duval d’avoir commandité le meurtre d’Azor Adélaïde. Le leader bleu est arrêté et déféré aux Assises, où l’affaire est rayée.”
(Le Défi, 22 juillet 2012.)

La défense souligne que la police « s’est endormie avec ce dossier pendant deux ans » et qu’il n’y a aucune explication plausible. Elle cite également l’article 10 (1) de la Constitution selon lequel un prévenu doit être mené devant la justice dans un délai raisonnable. La défense demande ainsi à la cour de rayer le procès.”
(L’Express, 3 avril 2004.)

L’agent de sécurité Dassen Narayen tente toujours de faire rayer une inculpation provisoire d’entente délictueuse au sujet d’une des cartes magnétiques de l’ex-Legends Hotel”.
(Le Mauricien, 22 décembre 2012.)
 

Cette façon d’utiliser le verbe rayer est-elle typiquement mauricienne ? On peut noter que dans le jargon judiciaire européen ou canadien il est régulièrement question du “rôle de la Cour”, rôle duquel une affaire, une requête, etc. peuvent être rayées, comme il est possible de le voir dans les exemples suivants :

– Article 43 (ancien article 44)
(Radiation du rôle et réinscription au rôle)
1. A tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle dans les conditions de l’article 37 de la Convention.
(Cour européenne des droits de l’homme, règlement de la Cour, sur le site observatoire-avocats.org.)

– 32. Qu’est-ce qu’un règlement amiable ?
[…] Après avoir examiné les termes du règlement amiable, et si elle estime que le respect des droits de l’homme ne justifie pas le maintien de la requête, la Cour raye l’affaire du rôle.
(La CEDH en 50 questions, sur le site de la Cour européenne des droits de l’homme.)

– Art. 241 Transaction, acquiescement et désistement d’action
1. Toute transaction, tout acquiescement et tout désistement d’action consignés au procès-verbal par le tribunal doivent être signés par les parties.
2. Une transaction, un acquiescement ou un désistement d’action a les effets d’une décision entrée en force.
3. Le tribunal raye l’affaire du rôle.
(Code de procédure civile helvétique sur le site des autorités fédérales de la Confédération suisse.)

– Le 16 novembre 1998, le juge instructeur a avisé Giuseppe Gervasi et la Succession répudiée d’Anne-Marie Kalb de son intention de rayer la cause du rôle, car il estimait le procès devenu sans objet.
(Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse, sur le site de PolyReg, Association Générale d’Autorégulation du canton de Zürich.)

– Pareil recours ayant été rejeté par l’arrêt 146/2011, la présente affaire est rayée du rôle.
(Site du Conseil d’Etat belge.)

– 25. Mentions inexactes au certificat d’état de cause.
S’il apparaît au juge présidant le procès que le certificat d’état de cause contient des mentions inexactes sans lesquelles la cause n’aurait pas été portée au rôle d’audience, le juge peut rayer la cause du rôle ou l’ajourner ou adopter toute autre mesure propre à assurer les fins de la justice.

(Règlement de procédure civile de la Cour supérieure du Québec, sur le site des tribunaux judiciaires du Québec.)

Ce rôle est en fait un rouleau — a roll en anglais — sur lequel sont censées être inscrites les affaires en cours. On retrouve sa définition dans le Trésor de la langue française :

RÔLE, substantif masculin
[…]
B. − Domaine juridique, administratif
[…]
2. Catalogue, registre officiel contenant, dans un certain ordre, une liste.
[…]
d) PROCÉDURE. “Registre où sont inscrits, par ordre chronologique, les affaires soumises à un tribunal. Dans les tribunaux composés de plusieurs chambres, on distingue le rôle général (…) et le rôle particulier”.
Inscrire une affaire au rôle; mise au rôle; plaider une affaire à tour de rôle.

Alors, où est le mauricianisme ?

Eh bien il semblerait qu’en général une affaire sub judice ne soit rayée tout court qu’à Maurice. Par exemple si sur Google.fr on entre les deux mots affaire et rayée, les textes d’origine européenne relatifs à des affaires judiciaires qui en ressortent contiennent quasi systématiquement l’expression “rôle (de la cour)” lorsqu’il est question, donc, d’une affaire qui a été rayée. Seuls les articles liés à Maurice — articles qu’on peut imaginer écrits par des Mauriciens — contiennent les expressions “affaire rayée”, “charges rayées”, “procès rayé”, etc. sans qu’il ne soit question d’un rôle d’aucune sorte. Dans ce contexte, l’emploi du verbe rayer paraît bien constituer une particularité mauricienne, dans le sens qu’il est d’un usage plus large, moins lié à une expression toute faite, que ce qui peut se rencontrer sous d’autres cieux plus ou moins francophones.

 

 

2. Au football (ou éventuellement un autre jeu collectif), dribbler.

Rayer_(Pele_1960)Il a rayé trois bougres avant de taper un plomb vers les poteaux.”

Ayo papa ! assez rayer tout le temps ! Passe un peu !!

Couma ene zouere maboke coume ca capave raye tous larriere manchester ene sel coute ?
(Commentaire d’article, Lekip.mu, 8 mars 2011.)

Dans cette acception sportive, le verbe rayer est en général transitif, une personne rayant une autre quand elle la dribble, mais il est possible aussi de l’entendre utiliser de façon intransitive, comme on peut le voir dans le deuxième exemple, lorsque le fait d’être enclin à dribbler (ce qui peut être qualifié de “jouer personnel”) relève davantage du comportement général que d’une action particulière.

Robillard, Particularités lexicales du français de l'île Maurice

(Robillard, Particularités lexicales du français de l’île Maurice.)

Comme on peut le voir dans l’extrait ci-dessus, il est des gens pour penser que l’expression mauricienne rayer vient de l’analogie de mouvement entre la personne qui dribble une autre et la main qui effectuerait des zigzags lorsqu’une partie d’un texte ou d’une liste est rayée. Peut-être est-ce le cas, mais cela me paraît peu probable. Il me semble plus naturel de croire que lorsqu’on a rayé un adversaire on l’a éliminé, on l’a effacé, comme cela se dit encore chez les commentateurs français de matchs de football :

– Il efface la défense avec une double accélération, part fixer le gardien et glisse la balle à Bastos qui a le but grand ouvert. (FranceFootball.fr)

– Dans un mouchoir de poche, l’international U19 anglais Luke Williams (Middlesborough) a fait parler sa technique en éliminant pas moins de quatre joueurs avant de faire trembler les filets. (jour2foot.fr)

– Buuuut de Messi ! L’Argentin récupère la balle aux 35 mètres, efface la défense helvétique et vient tromper Wölfli d’un subtil ballon piqué qui vient taper la balle transversale… (Yahoo Sports)

Il resterait à trouver de quand date l’expression footballistique rayer à Maurice, si tant est qu’il soit possible de la dater. Un septuagénaire interrogé à ce sujet confirme que dans sa jeunesse on rayait en jouant au football. Mais il maintient qu’il existait aussi une autre expression pour décrire la même action : démaniser. Or, jusqu’à l’heure je n’ai rencontré aucune autre personne qui, au football, ait jamais démanisé qui que ce soit. Mais le match n’est pas fini…

6 réponses à “Rayer

  1. Siganus Sutor

    En “une” de L’Express d’hier on pouvait voir une petite colonne au sujet de la fin d’un procès ayant traîné pendant plusieurs années, à savoir la plainte du mouvement Hare Krishna contre McDonald’s pour vente de produit contenant de la viande de bœuf. Selon l’article, après donc deux ans de procédure, “l’affaire a été rayée”.

    L'Express, 25 fevrier 2013

  2. Siganus Sutor

    Hier en passant près d’un terrain de football — d’une plaine donc — il m’a été donné d’entendre un des joueurs qui criait “Pa désann ! pa désann !” Je me suis alors souvenu qu’à l’époque où nous jouions au football à l’école on parlait me semble-t-il de “monter” quand il s’agissait de se diriger vers le camp adverse. Quelqu’un pourrait-il confirmer ces souvenirs on ne peut plus vagues ?

    Si je me souviens plus ou moins de “monter” au football, je me rappelle bien moins de “descendre”. Le terrain près duquel je suis passé hier était un peu en pente et je me suis demandé si la “descente” dont il était question concernait l’inclinaison réelle du terrain ou avait plutôt trait à la position relative des buts de son équipe par rapport à ceux d’en face.

  3. Je ne suis pas un grand spécialiste du football, mais j’aime quand même bien regarder ça à la télé.
    Si j’en crois le vocabulaire des commentateurs ( et de leurs consultants, puisque maintenant le journaliste sportif consulte, mazette!) une équipe est censée monter à l’attaque, c’est-à-dire se diriger vers le but adverse, comme vous le soulignez.
    L’action inverse n’est pas, du moins dans mes souvenirs, qualifiée par les commentateurs de descendre, mais plutôt de « reculer » … On entend dire : « à force de reculer, ils vont en prendre un! ». Ceci dit, on entend aussi « Ils jouent trop bas ! » ce qui sous-entend qu’ils sont descendus, n’est-ce-pas ?
    Et les entraîneurs ( je me refuse d’employer le terme « coach » ), toujours guerriers et positifs, encouragent la montée à l’attaque et répriment le recul ou la descente — sauf, naturellement, les entraîneurs des skieurs.

  4. Siganus Sutor

    Leveto, vous parlez de “monter à l’attaque”, mais selon vous arrive-t-il qu’en France ceux qui jouent au football — ou ceux, nettement plus nombreux sans doute, qui se contentent d’en parler — utilisent le verbe “monter” tout court ? Par exemple pour demander à ses coéquipiers de ne pas trop monter (sous-entendu, de ne pas s’engager trop loin dans le camp adverse), ou au contraire d’enjoindre aux backs (arrières) de monter eux aussi.

    Quant à descendre, je ne me rappelle plus ce que nous disions quand il s’agissait de se replier vers ses buts. Revenir ? Retourner ?
     

    Et puisque nous en sommes à converser dans cette note, est-ce que “rayer une affaire” (au tribunal) vous semble une expression susceptible d’être utilisée en France ?

  5. Siganus :
    ce dont je suis sûr c’est que le gardien de but crie à ses équipiers « montez! » quand il veut les voir jouer plus haut — c’est-à- dire plus près du but adverse que du sien.
    A contrario, le supporter craintif dira : « à force de monter comme ça, ils vont en prendre un en contre! ».
    En revanche, « descendre » ne me semble pas être utilisé de la même façon.

    Pour ce qui est de « rayer une affaire (au tribunal ) », mon expérience est assez limitée en ce domaine et un rapide tour des dictionnaires m’apprend que « rayer une affaire du rôle » est quelquefois utilisé, bien que le terme officiel soit plutôt radiation du rôle et donc « radier » serait plus approprié que « rayer ». Enfin, la radiation du rôle — qui laisse l’affaire en suspens — ne vaut pas le retrait du rôle !Et, pour la suite, je ne parlerai qu’en présence de mon avocat, qui s’y connaît mieux que moi …chacun son rôle!

  6. Siganus Sutor

    C’est noté Leveto, merci. On monte donc, comme la marée, sur un terrain de foot français. Quant à savoir si c’est à la vitesse d’un cheval au galop, sans doute faudrait-il le demander à l’entreprise créée par les rugbymen Spanghero.

    Rayer du rôle — du (fig) roll — a été évoqué dans le billet, mais sur la page vers laquelle vous pointez il est aussi possible de voir mentionner le “retrait de rôle”, qui est différent de la radiation (du rôle). Tout cela peut faire songer à un jeu, à une mise en scène bien chorégraphiée. Mais j’en reste à mon impression première, qui consiste à penser que l’usage du verbe “rayer” tout court relève du mauricianisme.

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