Amorces

Amorce(s).
Nom féminin, le plus souvent pluriel.

Aciers en attente, armatures en attente, attentes. (Vocabulaire de la construction.)

Amorces_sur_dalle_19

Ces idiots ont coupé les amorces du beam. Il va falloir casser le béton pour retrouver le ferraillage situé plus à l’intérieur.”

C’est vraiment une beauté tous ces bâtiments avec leurs amorces qui dépassent au-dessus de la dalle !

On va utiliser les fers de l’auvent comme amorces pour la nouvelle dalle.”

Amorces pour une dalle.

Amorces pour une dalle.

Les amorces — ou attentes dans leur version française — sont les aciers qui dépassent du béton et qui permettent de couler un élément supplémentaire dans un deuxième temps tout en assurant une connexion entre les deux parties grâce à la continuité du ferraillage, même si le béton, lui, est discontinu. Le site des éditions Eyrolles propose un certain nombre de définitions en ligne, dont celle des armatures en attente :

armature en attente
armature – n.f.
[Div.] Ensemble d’éléments incorporé dans un matériau pour le renforcer ou pour augmenter sa résistance. V. ill. Armatures d’une poutre en béton armé, terre armée.
[B.A.P.] Barre, fil ou câble d’acier placé dans le béton qui devient alors armé ou précontraint. V. ill. Armatures d’une poutre en béton armé.
[…]
en attente –
[B.A.P.] Longueur d’armature hors du béton destinée à permettre la continuité avec d’autres armatures par recouvrement lors de la reprise de bétonnage. Syn. Armature de liaison. V. ill. Attentes (boite d’).

La continuité du ferraillage est assurée par une longueur commune d’armatures dites “en recouvrement” (recouvrement = lap en anglais). La barre d’acier A est scellée par adhérence dans le béton 1 (coulé en premier) et sort de ce dernier sur une longueur L. La barre B est placée le long de A sur une longueur environ égale à L, et se prolonge au-delà. On coule le béton 2 et, après durcissement de ce dernier, les deux barres sont scellées dans une même matrice, ce qui assure la continuité mécanique des barres d’acier, auxquelles il est possible d’appliquer un effort de traction de chaque côté sans que l’une ne glisse par rapport à l’autre.

Recouvrement_barres

En français standard le mot attente se rapporte au fait d’attendre, verbe lui-même lié au verbe tendre (ce qui par ailleurs n’est pas sans lien avec la contrainte existant au sein des barres tendues, des barres d’acier étant incorporées au béton principalement pour résister aux forces de traction). Même si dans le présent contexte les deux mots sont équivalents, il existe une différence sémantique entre les attentes et les amorces.

Comme aurait pu le dire une lapalissade, les attentes sont des aciers placés en attente, c’est-à-dire qu’ils sont là dans l’attente de la suite des événements. À l’instar de Vladimir et Estragon, ils attendent — pour combien de temps encore, on ne le sait pas toujours.

Les amorces, elles, sont le début de quelque chose, ce qui peut paraître moins passif. L’amorce, c’est ce qui sert à amorcer un processus, et qui rend possible son aboutissement. À la pêche, c’est la bouette, l’appât servant à attraper petits et gros poissons. Le mot amorce découle d’ailleurs de cette acception-là : l’amorce est issue d’un participe passé du verbe amordre, i.e. “mordre” ou “faire mordre”. L’amorce est aussi ce qui permet à un explosif d’exploser, d’où le fait de désamorcer une bombe.

Parmi les nombreux sens que peut revêtir le mot, l’amorce est aussi — ce qui nous intéresse d’avantage ici — une “partie de muraille laissée inachevée, mais de manière à pouvoir être continuée plus tard” (TLF). C’est de ce sens-là que dérive très probablement l’amorce en tant que partie d’une barre de fer laissée en attente pour le coulage d’une autre partie d’une structure en béton. C’est aussi, selon le Dicobat, le “poinçonnement effectué en avant-trou sur une pièce de bois ou de métal, ou sur un mur, avant le perçage du trou.” Tout cela est fort éloigné de l’appât utilisé pour pêcher, mais c’est aussi de cette manière que se construisent les langues. Ou les bâtiments en béton.

Black River (new) District Court, Bambous.

Black River (new) District Court, Bambous.

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38 réponses à “Amorces

  1. Comment ? Pas un mot sur l’ « amorce », petite quantité d’explosif puissant détonant à la percussion et provoquant la déflagration de la charge principale d’une cartouche, d’un obus, d’une mine, d’une charge de dynamite, etc. ?

    Vous n’avez jamais joué avec un « pistolet à amorce », Sig ? ( P. anal. Objet servant de jouet et consistant en une petite masse de détonateur, généralement de fulminate de mercure, collée entre deux rondelles de papier, et que l’enfant fait détoner, pour le plaisir du bruit, par le choc d’un chien de pistolet, d’un caillou, d’un talon clouté*, etc. ).

    * un talon clouté… sur ce coup-là, le TILF a clairement un métro de retard : je me demande quel moufflet pourrait encore de nos jours, d’un coup du talon ergonomique en plastique gaufré de ses Nike Airmax, faire claquer une amorce !

  2. Aquinze, vous souvenez-vous si cette amorce de pistolet se présentait sous la forme d’un petit rouleau avec les « billes » de détonateur espacées de quelques millimètres ? On mettait le cylindre sur une tige et on faisait passer la bande dans une fente qui avait un mécanisme qui positionnait une nouvelle bille sous le chien à chaque coup tiré. On pouvait aussi découper une « bille » et la loger dans un petit « obus » en plastique; on lançait et l’obus lesté retombait sur la tête et faisait exploser la charge.

    Pour acheter ce rouleau à mon époque, on demandait au commis (boutiquier) une « capsule » (kapsil fizi). Je n’avais jamais compris le pourquoi de ce nom jusqu’à l’heure; je viens de voir dans Wiki: « Cet explosif est généralement contenu dans une capsule étanche métallique ou de plastique ».

  3. Siganus Sutor

    Comment ? Pas un mot sur l’ « amorce », petite quantité d’explosif puissant détonant à la percussion et provoquant la déflagration de la charge principale d’une cartouche, d’un obus, d’une mine, d’une charge de dynamite, etc. ?

    Mais si, Aquinze : “L’amorce est aussi ce qui permet à un explosif d’exploser, d’où le fait de désamorcer une bombe.” J’ai aussi joué avec un pistolet à amorce dans mon enfance, acheté au Lotus d’Or si j’ai bonne mémoire, avec l’argent que m’avait offert je ne sais plus qui, peut-être une tante revenue d’Amérique, ce qui — je m’en souviens encore — n’avait pas plu à ma mère, qui aurait préféré un jeu plus éducatif, moins “inutile”. Je me rappelle que ce revolver-là tirait de petites balles en plastique orange.

    Quant aux petites charges enveloppées de papier qui explosent quand on les jette par terre avec une certaine force ou quand on marche dessus, il n’y a guère le fils d’un cousin s’amusait avec. J’en déduis que ça existe toujours.

    Mais pour ma part je me rappelle plutôt ce que nous appelions “pétard râpé”, lequel se présentait sous la forme de petits bâtonnets (?) en matière dure plus ou moins semblable à ce dont est fait une sandal, et qui crépitait lorsqu’on passait dessus la semelle d’une chaussure. Je crois aussi que ça éclatait quand on le jetait violemment par terre, mais je n’en suis plus très sûr, ma mémoire semblant très lacunaire.

     

    Christopher, ce que tu décris là n’évoque rien chez moi. Sorry. Tout au plus ai-je gardé en tête une sorte de disque en plastique sur lequel étaient disposées disons 6 amorces (si on avait un 6 coups) et qu’on mettait à l’arrière du barillet avant de refermer ce dernier et de commencer à tirer. Mais je suppose qu’il a dû y avoir toutes sortes de systèmes de revolver joujou. Par contre je me souviens bien mieux de cette sorte de pistolet fait de morceaux de bambous coulissant les uns dans les autres, qu’on chargeait de deux graines de latanier (ou de papier journal détrempé) et qui tirait avec une véritable détonation. L’impact du projectile pouvait aussi faire assez mal.

     

    Par ailleurs il est à remarquer que le dictionnaire de Lédikasyon Pu Travayer n’a rien en ce qui concerne les amorces, ou lamors, bien qu’on y trouve des feray (ferraille) ou des gurguri (gourgouri).

    Quant au verbe amorcer dans le sens de “commencer”, “débuter”, MM. Hanse et Blampain semblent concéder presque à contrecœur qu’il “est devenu d’un emploi très fréquent dans le sens de commencer, entreprendre qqch.” Un peu comme le verbe entamer.

  4. Voici un exemple de rouleau; le pistolet avait un faux barillet dans lequel on mettait le rouleau pour le faire ressortir sous le chien.

    Et voici le petit « obus » (fizett kapsil) pour lequel il fallait découper un carré d’amorce.

    Tu noteras l’année du jouet :-).
    (En passant, connais-tu les tikay assez populaires dans les mêmes années ?)

  5. Siganus Sutor

    Voici un exemple de rouleau — C’est en lisant cela, avant même de voir la photo, que je me suis rappelé ce rouleau en papier avec des petits renflements, comme des graines dans une gousse de bois noir. Cela claquait avec une petite détonation sèche. Mais à regarder la photo de l’“obus” je réalise que je n’avais encore jamais rien vu de tel. Quant aux “tikay”, non, cela n’évoque rien chez moi.

  6. À l’époque où je m’appelais Cassidy, j’avais moi aussi un pistolet à amorces et j’étais la plus fine gâchette de tout le jardin familial.
    Si vous saviez le nombre de fois où j’ai sauvé ma petite sœur des griffes des Indiens!
    Après, mon père a acheté une télé et je ne sais plus où j’ai mis mon pistolet à amorces.

  7. Siganus Sutor

    Leveto, à mon avis ce sont les Indiens qui ont gagné, car tout ce qu’on peut voir en cliquant sur “Cassidy” est ceci :

    404 File not found
    The requested URL « /3/29/20/27/Cassidy-237/Cassidy-237.jpg, » was not found on this server.

    Il serait peut-être temps de retrouver votre pistolet à amorces.

  8. ah le petit rouleau contenant des amorces prises en sandwich entre deux bandes de papier sulfurisé… Je me demande si on en trouve encore…

    Nos fils nous ont aussi cassé les oreilles pendant quelques années en jetant aux moments les plus inopportuns des pétards Tigre
    dans le jardin, avant de développer des talents d’artificiers amateurs plus spectaculaires, dont je ne donnerai pas le détail ici, de peur que MSP ne se retrouve à l’index des sites terroristes* !

    *Pas de télé à la maison : vous croyez qu’il y a un lien, leveto ?

    N.B. Si cela peut consoler Madame votre Mère, Sig, racontez-lui donc comment, en parents conscients de la nécessité de pourvoir leurs enfants en jouets « éducatifs » dès leur plus jeune âge, nous avions muni notre aîné, pour les vacances d’été, de splendides moules en plastique permettant de faire des lettres en sable sur la plage (plutôt que de bêtes pâtés ou autres crénaux de châteaux-forts). Nous croyions fermement à son ravissement lorsqu’il pourrait démouler son prénom… à pas encore trois ans (pour le calcul intégral, nous pensions qu’il pouvait attendre ses cinq ans).

    Je n’oublierai jamais le lent et martial redressement de ce tout petit bout de moufflet se tournant vers nous, bras tendus, tenant fermement son L par le petit côté et nous visant d’un air menaçant… Le début de nombreuses désillusions 😉

  9. …MSH, bien sûr. (acronyme de proximité, vous l’aurez compris !)
    Bonne fin d’année à tous !

  10. Je ne savais que la signification d’appât pour le mot « amorce ». Pourtant, grâce à Aquinze, je viens de m’apprendre que c’est aussi le mot usité pour « la petite quantité d’explosif ». C’est curieux que l’espagnol a aussi un mot pour ces deux acceptions : « cebo » ; il semble que ces deux mots sont reliés par une sorte d’analogie, selon ce que j’ai lu par avoir être frappé.
    Certes, le fulminate* de mercure cité par Aquinze m’a aussi frappé. Après la Deuxième Guérre Mondiale il n’a pas presque été employé. Aussi, je me suis souvenu (et après j’ai cherché en Google) qu’en 1973 six enfants sont morts chez nous par avoir « mangé » un peu de ces rouleaux, parfois appelés « mixtos Garibaldi »**, parce qu’ils avaient du phosphore blanc dans leur composition ; une quantité de 15 mg peut être mortel.
    *C’est curieux aussi ce mot, tiré de la foudre (latine).
    ** Vraiment, ces « mixtos » étaient grattés pour obtenir, surtout, du bruit. La vente était interdite depuis 1963.

    >Leveto
    Cassidy par Butch Cassidy, l’homme qui ferait les délices de MiniPhasme par être aptonyme (Butch de « butcher ») et éponyme de Mike Cassidy, un autre bon spécimen ?

  11. Jesús
    Mon Cassidy était prénommé Hopalong.

    Tous les autres ne sont que de ( visages ) pâles copies …

  12. « Je n’oublierai jamais le lent et martial redressement de ce tout petit bout de moufflet se tournant vers nous, bras tendus, tenant fermement son L par le petit côté et nous visant d’un air menaçant… Le début de nombreuses désillusions 😉 » (Aquinze, 31 décembre 2013 à 17:12 )

    Et qu’auriez-vous pensé d’une fillette s’emparant d’un B tenu à l’horizontale pour en faire un fer à repasser ? 🙂

  13. En toute honnêteté, je crois qu’on aurait été ENCORE plus consternés !!!
    (et tout le sexisme atavique se cache dans cet encore) 😉
    Une excellente année 2014 à vous

  14. zerbinette

    Moi, j’ai appris à lire très tôt en mangeant ma soupe*

    Meilleurs voeux à tous et toutes.

    *Idéal pour devenir champion(ne) d’épellation

  15. zerbinette

    C’est parce que les gens de Dubaï ont vigoureusement tapé des pieds qu’ils ont déclenché un méga feu d’artifice pour amorcer la nouvelle année ?

  16. Siganus Sutor

    Zerbinette, que ce soit à Dubaï ou ailleurs, l’année 2014 a été entamée : elle n’est plus tout à fait entière, il lui manque déjà deux jours. (Ah, vous ne vous mangiez donc pas la soupe ?)

    Aquinze, le fils aîné n’a semble-t-il pas trop mal fini malgré tout. Et vos pétards Tigre ressemblent furieusement à ce que d’aucuns appellent “pétards canon”. Quant à ma vénérable mère, elle nous a aussi acheté des pétards, bien qu’en relativement faible quantité. (De l’argent qui part en fumée, n’est-ce pas ?)

    Jesús, sans doute faut-il une amorce aussi pour fulminer. Le TLF m’apprend que parmi les acceptions de ce verbe, outre l’action de lancer la foudre, on trouve aussi “faire explosion”. Il est vrai que certains fulminent au moindre petit heurt. Un des sens du verbe a trait — cela ne s’invente pas — au droit canon : dans ce cas fulminer c’est publier une condamnation dans les formes prévues. C’est ainsi, donc, qu’on peut fulminer une excommunication.

    Leveto, si les petits garçons rêvent manifestement d’en découdre avec les Indiens à coups de pistolet, je doute qu’une petite fille rêve de faire du repassage. Ou bien quelque chose m’aura-t-il échappé ? (Mais par contre faire des repas avec sa dînette, ça oui.)

  17. le fils aîné n’a semble-t-il pas trop mal fini malgré tout.

    Connaissez-vous ce film de Denys Arcand, « Les Invasions barbares », qui fait plus ou moins suite au « Déclin de l’Empire américain », sorti 20 ans plus tôt ?

    En 20 ans la vie change, et les enfants grandissent. Rémy est en train de mourir d’un cancer dans un hôpital public canadien (ses convictions socialistes s’opposant à une hospitalisation plus « confortable » dans un établissement privé… ou étatsunien). Son fils, à qui il n’a plus rien à dire depuis longtemps, a « mal tourné » : il fait une brillante carrière de trader à Londres et croûle sous le fric, bref tout ce que méprise son père, prof d’université. C’est pourtant lui qui remuera ciel et terre pour faciliter la fin de vie de son père, multipliant les turpitudes (drogue, pots-de vin, achat d’étudiants pour qu’ils viennent témoigner « spontanément » de leur admiration pour leur prof etc;) afin qu’il puisse profiter jusqu’au bout des joutes intellectuelles qui l’attache à ses amis de toujours.

    Une bien belle histoire.

  18. Chez nous les curés peuvent fulminer, ainsi que les juges. Et, par exemple, une belle fille peut aussi fulminer avec son visage, mais dans ce cas…
    Notre verbe « cebar », en plus d’amorcer, a les significations de gaver et alimenter.

  19. Siganus Sutor

    Oui, Aquinze, j’ai vu Les Invasions barbares dans un cinéma de Port-Louis après avoir vu Le Déclin de l’Empire américain au Canada bien des années avant. J’ai de loin préféré le deuxième, qui est en effet un excellent film. Je me souviens en particulier de la scène où l’universitaire est en train d’être tué par la droguée qui l’aide à mourir. Il est allongé dehors, sur une chaise longue, avec la jeune femme qui lui injecte une overdose, alors que son fils et ses amis regardent depuis l’intérieur de la maison. C’est le fils qui lui a trouvé cette droguée, et cela fait partie des services qu’il lui rend. On peut dire que c’est le fils qui aide le père à se suicider, sans qu’on puisse n’y voir rien de freudien.

     

    Jesús, cebar et cebo sont des mots qui m’intriguent. Connaissez-vous leur origine ? Et si cebo signifie à la fois amorce (pour attraper un poisson) et amorce (pour l’explosif), autrement dit deux des acceptions du mot français, savez-vous comment on est passé d’un sens à l’autre ? Le passage de cebo à cebar — si c’est bien dans ce sens-là qu’a eu lieu l’extension — pourrait s’expliquer par le fait que l’appât est de la nourriture, bien qu’une nourriture manquant d’honnêteté d’une certaine façon, d’où peut-être le sens de “gaver”, mais quid du passage de l’appât à l’explosif ?

    Sinon, vous avez une idée de la façon dont on appelle les aciers en attente, i.e. les amorces, en espagnol ?

  20. « Cebo », comme des mots pareils en italien, portugais et roumain, est tiré du latin « cibus, i » qui veut dire aliment, nourriture. Selon un dictionnaire « moderne » de latin, ce mot est usité pour la nourriture donnée aux animaux pour les engraisser ; l’amorce des explosifs est « igniarium », et celui pour les poissons « esca ».
    Les acceptions de « cebo », ainsi que celles d’amorce, reliées avec les poissons et les explosifs, étaient la raison de mon premier com. D’un premier coup, j’avais pensé à une traduction du mot de votre langue à la notre (ou à l’inverse)*. Pourtant, dans le lien suivant, je crois avoir trouvé paradoxalement une réponse au passage d’une signification à l’autre (en espagnol !) : la corne d’où on verse la poudre, servant à « cebar » l’arme.
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Amorce_%28munition%29
    Quant à l’acier pour le béton armé, chez nous on dit « barras », « mallas », « armaduras » et aussi « ferralla ». Ce dernier, malgré le dico, est bien usité :
    https://www.google.es/search?q=ferralla&tbm=isch&tbo=u&source=univ&sa=X&ei=9fPGUr31Bqmc0QWmwICgDQ&ved=0CC8QsAQ&biw=1280&bih=639

    * Un cas pareil, à mon avis, c’est celui de jalousie et jaloux, comme notre « celosía » y « celoso » et, en anglais, « jealously » et « jalousie », tirés des mots italiens « gelosía » et « geloso », sans rien à voir quant à leurs significations (persienne et émotion) sauf un sens figuré inconnu pour moi. Ce n’est pas le même cas des significations « nouvelles » de mots comme « souris » ; je crois que nous n’aurions pas eu besoin de traduire de l’anglais le nom de ce « périphérique ». La ressemblance entre l’objet et l’animal est claire.

  21. Siganus Sutor

    Jesús, si je suis bien le fil de votre pensée, la poire à poudre, ou la corne d’amorce, servait à “gaver” (cebar) le fusil qui devait tirer un coup, ce qui fait qu’en espagnol on a parlé de cebo pour l’explosif ? Ça paraît possible.

    J’ai jeté un coup d’œil dans un vieux dictionnaire latin-français qui traîne sur mes étagères (celui de MM. Benoist et Goelzer, qui doit dater des années 1920) et je me suis rendu compte que cibo et cibus sont deux mots latins ayant fait beaucoup de petits. (Et je trouve étonnant qu’ils n’aient apparemment pas laissé de descendance en français.)


    En cliquant sur le lien ci-dessus (photo d’une partie de la page 242 dudit dictionnaire), il est possible de voir qu’Ovide et Tibulle avaient déjà utilisé le mot cibus dans le sens d’appât, d’amorce (pour attraper du poisson je présume, i.e. ce que nous appelons “bouette” ici-bas). Cibus étant “nourriture, aliment, mets” mais aussi “pâture”, il n’était pas particulièrement étonnant que le mot ait aussi été utilisé pour parler de ce qu’on met au bout d’un hameçon ou dans un piège pour capturer des poissons.

    Ce qui est étonnant par contre, c’est qu’à la fois en espagnol et en français le même mot soit utilisé pour parler de deux choses fort différentes, à savoir l’appât qui sert à pêcher et le dispositif qui permet de déclencher une explosion dans une arme à feu. On vient de voir ci-dessus comment cette extension de sens pouvait avoir eu lieu en espagnol — i.e. le gavage du fusil, gaver se disant cebar, issu en droite ligne semble-t-il du latin cibo, cibare, “nourrir, élever (des animaux)” —, mais le mécanisme par lequel, en français, on est passé de l’amorce-appât à l’amorce-explosif est différent. (Rappelons au passage que le substantif amorce est lié au verbe mordre.) Le Dictionnaire historique de la langue française n’est pas très clair à ce sujet, parlant de “l’évolution du verbe dérivé amorcer (ci-dessous) dont amorce devient le déverbal.” Et le DHLF de poursuivre à amorcer en disant que “amorcer se dit pour « garnir (une arme à feu) du dispositif qui déclenche l’explosion », valeur spéciale à l’origine du sens spécial de amorce (ci-dessus) [v. 1510] et pour « garnir (un hameçon) d’une amorce » (1530).”

    Alain Rey semble donc affirmer que les francophones du début du XVIe siècle avaient fait un parallèle entre le fait de mettre un appât sur un hameçon et celui de charger un fusil. Bon, admettons, mais ça me paraît quand même un peu un “guesstimate”, une supputation, surtout lorsqu’on regarde les date mentionnées, l’expression ‘amorcer un fusil’ étant a priori antérieure de 20 ans à l’expression ‘amorcer un hameçon’. (Il est toutefois possible qu’il ne s’agisse là que des dates d’attestation écrite.)

    Quoi qu’il en soit, cela n’explique pas ce parallélisme surprenant entre cebo et amorce. Évolution convergente ? Hasard ?

     

    C’est noté pour les mots ferralla, armaduras ou barras (ferraille / ferraillage, armatures ou barres), mais les amorces au sens mauricien ne sont pas n’importe quelles barres d’acier : il s’agit de celles qui sortent du béton dans l’attente d’un coulage ultérieur.

    Bah, pas grave, laissez béton — comme cela se dit en France.

  22. Ben, je suis content parce que vous avez suivi très bien le fil malgré mes expressions, ayant aussi être étonné par cette polysemie « parallèle », si l’on peut qualifier comme ça.
    Des mots en français tirés de « cibus » je n’en ai pas trouvé mais je chercherai dans mon dico lorsque j’arrive chez moi mardi prochain.
    Un autre mot en espagnol que je viens de savoir qui est tiré du verbe « cibare » est « cebada », l’orge, très métonymique. Aussi en portugais il y a « cevada ».
    Quant au sens d’amorce en français pour les armes je n’ai aucune idée. Je viens de lire que le premier canon a été employé en Europe pendant notre « Reconquista » et cela me fait penser à une possible traduction entre nos langues, mais vous savez que mon diplôme n’est pas ès lettres. Par contre, le votre si est relié avec un autre mot curieux pour moi : « grue ». Comme vous savez, c’est, entre autres*, un oiseau et un appareil, comme « crane » en anglais ; chez nous la polysemie n’existe pas mais il y a deux mots presque homophones : « grulla » (oiseau) et « grúa » (l’appareil). Dans tous les cas, l’origine est le latin « grus » (du grec « geranos », il semble) usité pour nommer l’oiseau, si bien l’ancienne machine de guerre était aussi « grus » par assimilation de forme. En plus de la metonymie par cette dernière raison pour exprimer ce sens, le cri semble être l’origine du nom de l’oiseau dans plusieurs langues. Je crois que la traduction entre langues est à la fin, derrière la polysemie. C’est pareil au mot souris déjà cité mais, dans ce cas, l’assimilation de forme aurait été presque spontanée en n’importe quelle langue pour « créer » cette nouvelle acception.
    Les grus m’ont enmené à vos pedigree et géranium, « pedigree » et « geranium » en anglais, « pedigrí » et « geranio » en espagnol, « pedigree » et « gerânio » en portugais, et j’en passe.
    Du béton armé, je ne sais que les mots que j’ai donné qui sont, c’est vrai, trop généraux.

    * J’ai rigolé par l’acception de prostituée dans votre langue.

  23. J’ai rigolé par l’acception de prostituée dans votre langue [grue]

    Jesús, il est possible que j’enfonce une porte ouverte, mais peut-être serait-il nécessaire de préciser que, s’il m’arrive de parler français, ce n’est pas, la plupart du temps, sous sa forme dite “standard”, telle qu’assez largement pratiquée au nord des Pyrénées. Peut-être ne le réalise-t-on pas bien quand on n’a pas fréquenté notre petit pays, mais, malgré quelques apparences, la façon de s’y exprimer est assez différente de ce qui a cours en France.

    Pour vous donner une idée des choses, je peux préciser qu’on ne me comprenait souvent pas au début de mon temps d’étudiant dans une ville universitaire française, la réciproque étant aussi vraie parfois, dans une moindre mesure cependant, par la grâce du cinéma et de la télévision (français). Autre exemple : une chaîne de télévision française était venue faire un reportage sur Maurice et avait interviewé un Franco-Mauricien. Eh bien pour le public français on avait sous-titré en français les propos du type qui était pourtant censé parler français.

    Je ne saurais vous dire si cela est pareil dans le monde hispanique, mais je suis prêt à croire qu’un Mexicain, un Chilien, un Philippin et un Espagnol pourraient avoir quelques difficultés à bien se comprendre, surtout au début. Et que s’ils parlent globalement un langage similaire, il existe nombre de mots, de tournures, d’accents différents qui rendent plus difficile la compréhension mutuelle et qui font que leurs façons de s’exprimer peuvent être considérées comme des variantes d’un tronc commun.

    Tout ceci pour dire que dans “notre langue” une prostituée n’est jamais appelée “une grue”. Peut-être comprendra-t-on ici-bas ce que signifie le terme “pute”, mais il ne doit pas exister beaucoup de Mauriciens, à mon avis, pouvant associer cette catégorie socio-professionnelle au mot “grue”, laquelle est avant tout l’instrument de levage, et éventuellement l’oiseau africain. À titre d’anecdote, en 2010, lors d’un des traditionnels meetings du 1er mai, le Premier ministre avait utilisé le mot “pitain” pour parler, avait-on affirmé ultérieurement, d’un micro défectueux qui avait pourtant bien enregistré ses propos : http://www.islandcrisis.net/navin-ramgoolam-pitin-scandal/

    Mais il est vrai que le parallèle anglais-français entre grue et crane, dans les deux acceptions liées à l’oiseau et le dispositif de manutention, est amusant. Selon le site etymonline.com on retrouve la même chose en allemand et en grec.

     
    tiré du verbe « cibare » est « cebada », l’orge, très métonymique. Aussi en portugais il y a « cevada » ► J’ai brièvement pensé que cela pouvait avoir quelque rapport avec la cervoise, mais non, les Romains avaient semble-t-il emprunté à Astérix et Obélix le nom qu’ils utilisaient pour parler de la bière d’orge. Un nom passé en espagnol aussi si j’ai bonne mémoire.

  24. Vraiment je devrais avoir écrit « en français standard» au lieu de « votre langue ». J’ai été un peu « grue » (niais en français standard) ou insignifiant (votre langue).
    Quant aux mots en français derivés de « cibus », je n’ai trouvé aucun dans mon dico.

  25. Siganus Sutor

    Ah, Jesús, vous m’apprenez encore une autre acception du mot grue ! Mais ne vous fustigez pas trop, de grâce. Il n’est pas évident de comprendre les subtilités linguistiques de mondes qui nous sont peu familiers. (Vous n’avez rien dit, je le note, sur l’intercompréhension entre hispanophones très éloignés les uns des autres…) Par exemple cela nous a fait rire plus d’une fois, au travail, de voir à quel point des expatriés sud-africains ou britanniques prenaient le créole pour du français, alors que pour les Mauriciens ce n’est pas du tout la même chose.

    Il faudrait peut-être se faire une raison : en ce qui concerne sa descendance française, cibus a été frappé de stérilité.

  26. Oui, j’avais oublié vous donner une réponse à votre question sur l’intercompréhension. Comme vous avez pensé, c’est pareil et non seulement entre hispanophones de diférents pays mais même entre nos régions ; l’accent musical est parfois assez diférent et peut obliger à tendre l’oreille pour entendre.
    À propos de cervoise, aujourd’hui j’ai lu, par hasard, un petit et curieux article dans un magazine où on pouvait voir deux cartes pour indicer la distribution, selon les pays, des diférents mots (et leur origine étymologique) usités pour la bière et l’orange. Peut-être c’est la France la seule qui a les deux mots usités pour la bière, si bien cela n’était dans la carte et vous me l’avez appris. Quant à l’orange, c’est curieux que son nom soit relié au Portugal dans plusieurs pays, sauf au Portugal.

  27. Pardon. « …indiquer la distribution ».

  28. Siganus Sutor

    Ces cartes montrant la distribution des mots à travers l’Europe (ou le monde) selon les familles auxquelles ils appartiennent sont très amusantes, et fort intéressantes. Pour ce qui est de l’orange portugaise (laranja), je ne comprends pas : le mot portugais ne fait-il pas partie de la famille de la naranja espagnole, de l’orange française et de l’arancia italienne ?

    Quant à la bière, il me semble qu’elle n’est appelée que « bière » en France. A quel autre mot pensiez-vous ? (Je ne pense pas que qui que ce soit puisse aujourd’hui commander sérieusement une cervoise — à part peut-être dans un parc d’attraction gaulois.)

    Mais nous voilà rendus bien loin des fers à béton, ce qui n’est pas plus mal…

  29. en ce qui concerne sa descendance française, cibus a été frappé de stérilité.

    Et ciboire ?

  30. C’est ce qu’on pouvait penser. Eh bien non : voyez, quelques commentaires plus haut, cet extrait d’un dictionnaire latin-français. Il y est dit que ciboria / ciborium vient du nom du péricarpe d’un fruit utilisé comme coupe en Égypte. (Mais peut-être existe-t-il un lien au bout du compte, même si les dictionnaires ne le mentionnent pas.)

  31. Il semble que je me suis mal exprimé, comme d’habitude. Je parlais de l’origine étymologique des mots comme « bière, beer, birra, bier », etc. qui est, selon la carte citée, la racine « bews » (levure). En plus du français avec la cervoise, des mots pareils sont usités en castillan, catalan, galicien et portugais.
    Pour l’orange, le sanskrit « naranga » est l’origine des mots usités dans plusieurs pays et il y a d’autres tirés de l’ancien français « pomme d’orenge ». Aussi, alors qu’en portugais on dit « laranja », le fait de que, présumablement, les commerçants portugais l’aient introduite dans quelques pays, les noms usités sont reliés avec ce pays. Ainsi : « portocali, portakal, portokal, burtuqal », etc.
    Après une petite recherche, j’ai su que le magazine que j’avais lu hier dans la salle d’attente du dentiste est le correspondant à Janvier ; c’est surprenant parce que vous savez que c’est habituel n’y trouver que des numéros anciens. Finalement je l’ai pu acheter et scanner pour vous.

  32. Siganus Sutor

    Jesús, merci pour l’article scanné et envoyé par e-mail. Si dans les pays arabophones d’Afrique du Nord on utilise « burtuqal » plutôt qu’un mot dérivé de la « naranja » portugaise, peut-être est-ce parce que le monde arabe a eu une connexion avec le monde indien de très longue date, bien avant l’arrivée des Portugais en Inde à la fin du XVe siècle (puis en Chine quelques temps après). Même si les arabophones du nord de l’Afrique ont possiblement acheté des oranges à des fournisseurs portugais à partir, disons, du XVIe siècle, il me paraît possible, et même probable, qu’un mot décrivant les oranges existait en arabe avant cela.

  33. Les oranges introduites par les Arabes étaient amères et leur nom était relié avec le sankrit déjà dit. Pourtant il semble que les Portugais avaient été les premiers importateurs de la varieté douce : http://books.google.es/books?id=y-1fwix23zMC&pg=PA129&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false

  34. Jesús, en français standard, cela fait vraiment très bizarre de vous voir traité de « grue ». Sans doute le choc entre le masculin et le féminin. Mais par ailleurs je ne crois pas qu’aujourd’hui quelqu’un le comprenne dans le sens de niais.

  35. >Zerbinette
    Cela n’était qu’une des acceptions que j’avais lu dans le dico. C’est vrai que le genre limite aussi l’emploi. De l’autre acception de grue citée, un cas pareil en espagnol est le mot féminin « zorra » (renard) ; le masculin est aussi péjoratif pour les hommes et veut dire niais ou astucieux.

  36. olimalia

    je me suis rendu compte que cibo et cibus sont deux mots latins ayant fait beaucoup de petits. (Et je trouve étonnant qu’ils n’aient apparemment pas laissé de descendance en français.)
    Quoique d’origine douteuse, le mot « civière » est généralement rattaché à « cibus » par l’intermédiaire d’un bas-latin « cibaria », véhicule servant au transport des provisions.

  37. Siganus Sutor

    Transporter des provisions sur une civière ? De la viande froide à la rigueur…

    Un certain nombre d’ouvrages mentionnent cibaria, cibarius, cibus en relation avec l’étymologie de civière (DHLF, Bloch & Wartburg, TLF, Dauzat), en effet, mais une telle filiation est quasi-systématiquement qualifiée de “douteuse”. Sachant qu’à l’origine le mot civière était utilisé pour parler d’un dispositif servant à transporter des fardeaux tels que du fumier ou des grosses pierres, on ne peut s’empêcher de se demander où se trouve la nourriture dans tout cela — à moins qu’il faille voir une nourriture toute terrestre dans le fumier engraissant la terre nourricière.

  38. olimalia

    Comme toujours, l’étymologie est un domaine où la conjecture est plus fréquente que la certitude. Mais vous connaissez comme moi les caprices de la langue. Par exemple, votre « viande froide », pour un cadavre, ne manquerait pas d’étonner les Anciens qui ont formé « viande » sur le latin « vivenda » « ce qui sert à la vie », neutre plur. subst. de « vivendus » adj. verbal de « vivere » « vivre » !
    Pour revenir à « civière », Littré et d’autres, obsédés par le fumier, avaient proposé un bas-latin « coeno-vehum », de coenum, boue, et vehere, porter, mais la forme s’accommodait bien mal à la morphologie et à l’expansion du mot : picard, chivière ; bourguignon, seveire, civeire ; vénitien, civiera ; milanais, scivera ; ital. civéo, civéa. C’est pourquoi, observant par ailleurs que les usages de la civière n’étaient pas limités au fumier, mais s’étendaient par exemple aux objets sacrés (Furetière écrit :« Et dans l’Eglise on appelle des civières à col, celles sur lesquelles on porte des reliques, des pains bénits. »), on a proposé ce mystérieux « cibaria », objet à transporter des provisions. Saura-t-on jamais la vérité ?
    En tout cas, aujourd’hui, le sens de « civière » s’est très spécialisé dans le transport des blessés et des morts. Mais dans les dialectes, il subsiste des usages différents. Je lis ainsi que dans le Brionnais, la « sevire » concurrence la « brouette », avec toute sortes de variantes pour l’une comme pour l’autre : svire, suire, sivière, syire, siveri / barote, barota, brrouette, borouette.

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