Archives quotidiennes : 15 décembre 2013

Tout

Tout.
Adverbe.

1) Aussi, “en plus”, (et) même, y compris, qui plus est.

tout_inclus L’expression utilisée dans le sens dont il est question ici est avant tout orale. De ce fait il n’a pas été possible (jusqu’à l’heure) de trouver des attestations écrites dans des livres, dans la presse ou sur internet, bien qu’elles existent peut-être et qu’on puisse éventuellement les trouver en cherchant bien et longtemps. Quoi qu’il en soit, les exemples suivants ont été créés afin d’illustrer la façon dont le mot est utilisé dans ce contexte, tout en essayant de rester le plus proche possible de ce qui aurait pu s’entendre dans une conversation réelle. Il n’est probablement pas nécessaire de préciser que toute personne ayant un exemple concret à partager est encouragée à en parler sur ce billet et que, pour ma part, mes oreilles seront désormais à l’affût de tout tout entrant dans le présent cadre.

Toutou_a_la_rescoussePendant le long week-end ils sont partis au bord de la mer, à Flic-en-Flac. Ils ont emmené les tentes, les nattes, les fauteuils, le jeu de carom, la belle-mère, les cousins, les chiens tout.”

Les voleurs sont passés chez eux et ils ont volé des quantités de choses. Ils ont pris le linge sale tout !

Fouf ! dans la maison tout il y a des moustiques !

Les enfants étaient déchaînés. Ils ont cassé une vitre tout.”

Hier au soir il y avait un pugilat dans le quartier. Deux voisins qui se bagarraient pour une histoire d’arbre sur leur balisage je crois. Il y avait foule près de leur maison, pour voir ce qui se passait. La police tout est venue.”

Dans les exemples ci-dessus le mot tout pourrait être remplacé plus ou moins facilement par les expressions en 1) : “ils ont emmené la belle-mère, les cousins, et même les chiens”, “ils ont emmené bien des choses, y compris les chiens” ; “les voleurs ont même pris le linge sale”, ou “ils ont pris le linge sale aussi”, “ils ont pris le linge sale ‘en plus’”, “qui plus est ils ont pris le linge sale” ; “même dans la maison il y a des moustiques” ; “ils ont même cassé une vitre” ; “même la police est venue”, “la police aussi est venue”.

Dans une nuance légèrement différente, tout peut servir à marquer la complétude dans l’expression “ça même tout”, laquelle signifie que tout est là, qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit. En ce sens elle est un équivalent des expressions “c’est tout”, “rien de plus”, “rien d’autre”, “that’s all” ou “that’s it” :

— Une bouteille d’eau, quatre pommes, un paquet de biscuits manioc. Tu voudrais autre chose pour mettre dans ton sac ?
— Non, ça même tout.

— Dans le tiroir tu n’as trouvé que deux paires de chaussettes, trois straps et un mouchoir ?
— Oui, ça même tout.

Il était tout à fait possible de passer à côté de ce mauricianisme-là et c’est un véritable “friend” qui m’a mis la puce à l’oreille, ce dont je lui sais infiniment gré. Notre petit échange a même valeur d’illustration pour ce qui nous intéresse ici :

Une discussion sur Facebook...

Une discussion sur Facebook…

On trouve aussi des occasions où le mot tout est employé dans une autre acception liée au temps, afin d’exprimer une chose qui, de façon en général inattendue, s’est déjà réalisée :

2) Déjà.

Tu arrives trop tard. Il est parti tout.”

— Je n’ai entendu aucun bruit. Est-ce que ton appareil photo marche ?
— Oui, ça a pris tout.

— Tu prépares un coup l’ourite pour le vindaye ?
— Le vindaye est cuit tout !

Samedi elle est allée à la fête, mais c’était fini tout.”

Dans les exemples ci-dessus on aurait pu dire, pour parler un “meilleur” français, “il est déjà parti”, “la photo a déjà été prise”, “le vindaye est déjà cuit” ou que “c’était déjà fini”.

Il est possible que cette façon de parler en français de Maurice dérive du créole, où des tournures identiques sont normales. “Zonn amenn lisien tou” ; “zonn pran linz sal tou” ; “dan lakaz tou ena moustik” ; “lapolis tou inn vini”. Ou encore “samem tou” pour “c’est tout”. De même, en ce qui concerne ce qui est déjà accompli : “linn alé tou”, “manzé-la inn koui tou”, “lafet ti fini tou”.

Baker & Hookoomsing, p. 326.

Baker & Hookoomsing, p. 326.

Toutefois, on ne saurait dire avec une certitude absolue si le français local a emprunté au créole des tournures qui n’ont jamais existé en français ou si ces formes-là existaient dans un français ancien et/ou régional et qu’elles ont été conservées tant en créole qu’en français mauricien. Quoi qu’il en soit, il est possible de noter que nos créolistes locaux ignorent superbement les acceptions de tou (ou tu) mentionnées ci-dessus, qu’ils s’appellent Baker & Hookoomsing ou bien Carpooran.

Carpooran, p. 1043.

Carpooran, p. 1043.

En effet, de façon somme toute surprenante, dans leur dictionnaire ces messieurs ne mentionnent que les sens de tou / tu correspondant au tout français ou aux all & everything anglais. Peut-être aurait-il fallu quelqu’un de plus outspoken que moi, par exemple quelqu’un du calibre d’un ancien archevêque anglican de Cape Town, pour leur indiquer le droit chemin du Tout, le tout complet et universel plutôt qu’un tout tronqué et partiel. Car après tout, ce n’est pas tout d’écrire des dictionnaires et de penser que, voilà, tout est dit : qu’on le veuille ou pas, ces livres-là sont avant tout des réceptacles de ce qui existe — non pas ce qui existe de tout temps (rien en ce monde n’existant depuis toujours), mais ce qui s’observe depuis un certain temps au moins.

 

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Mise à jour du 1er mai 2016.

Numéro 9 de Kozé (décembre 2015) :

 

Tout.
Adverbe.

1. Même, aussi.

L’expression dont il est question ici est avant tout orale. On comprendra mieux sa particularité en donnant un exemple ou deux : « Les cousins s’engueulaient devant la boutique. Il y avait foule pour voir la scène. La police tout est venue. » (La police aussi est venue.) « On a eu une pluie terrible hier matin. Il y avait de l’orage tout. » (Il y avait même de l’orage.) Parfois le tout charrie une nuance admirative, laquelle peut facilement dériver vers la jalousie : « Ah, tu as eu une mention tout… »

Cette tournure est éminemment et exotiquement mauricienne. On la retrouve en créole (ti ena loraz tou), quand bien même elle est superbement ignorée de nos créolistes nationaux, et il est possible ici que celui-ci ait influencé la variété locale du français.

Quoiqu’il en soit, il existe par ailleurs une autre acception mauricianisée de tout, liée au temps cette fois-ci, servant à exprimer une chose qui s’est déjà réalisée :

2. Déjà.

« Tu arrives trop tard, il est parti tout. » (Il est déjà parti.) « Pas la peine, le vindaye est cuit tout. » (Il est déjà cuit.)

— Bon, autre chose à dire sur ce mot ?
— Non, ça même tout.