Nouvelle-France est un village situé sur les contreforts sud-est de l’île Maurice. Du fait de son altitude et de son exposition aux alizés du sud-est, il s’agit d’un endroit relativement humide. On y cultive du thé et, depuis peu, on y brasse la bière Stag. Mais comment ses habitants s’appellent-ils donc ? Sont-ils des Néo-Français ? Des Nouveaux-Français ? Des Nouvel-Français ?
Le préfixe grec néo- est en principe l’élément formant utilisé dans ce genre de situation : les Néo-Zélandais sont les habitants de la Nouvelle-Zélande ; les Néo-Calédoniens sont les habitants de la Nouvelle-Calédonie ; les Néo-Guinéens sont les habitants de la Nouvelle-Guinée ; les Néo-Orléanais sont les habitants de la Nouvelle-Orléans, de même que les Néo-Mexicains seraient les habitants du Nouveau-Mexique. (En revanche, les habitants de New York ne sont pas appelés “Néo-Yorkais”.) Un peu moins fréquemment peut-être, on parle de Néo-Écossais pour les habitants de la Nouvelle-Écosse (Nova Scotia), et encore moins fréquemment peut-être pourra-t-on entendre Néo-Brunswickois pour parler des habitants du Nouveau-Brunswick. Je ne sache cependant pas que l’on utilise le gentilé “Néo-Anglais” pour évoquer les habitants de la Nouvelle-Angleterre (New England).
Qui plus est, le préfixe néo- a parfois mauvaise presse (surtout dans le domaine socio-politique) : être néolibéral n’est pas toujours bien vu, et être néoconservateur (souvent abrégé en néocon) est “presque” une insulte, tout comme néo-colonialiste, lequel arrive quelques degrés à peine sous néo-nazi. Il existe cependant des néos nettement plus neutres : néolithique, néo-darwinisme, néo-gothique ou néologisme ne charrient en principe pas de notion péjorative. Qu’en est-il de néo-français ?
Quand il s’agit de la langue, le terme est souvent dépréciatif. A propos d’un Petit manuel du français maltraité (Pierre Bénard, Le Seuil, 2002), il a pu être dit que « ce petit livre est surtout la preuve que la défense du français doit être d’abord cela même, une croisade contre le “néofrançais” avant de l’être contre l’anglo-saxon ! » (Élisabeth de Lesparda, DLF n° 207, sur langue-francaise.org). A lire ceci, il semblerait que ce néofrançais-là doive être passé par le fil de l’épée. Sur Médiapart, on peut lire un article intitulé “Un débat national sur le néofrançais, pourquoi pas ?”, dans lequel on trouve cette pure merveille :
Exemple : un texte célèbre en néofrançais
Déklarasioŋ dé drua de l’om é dû situayèŋ de 1789
Lé reprézaŋtaŋ dû Pepl Fraŋsè, koŋstitûé an’Asaŋblé nasional, konsidéraŋ ke l’iñoraŋs, l’ubli u le mépri dé drua de l’om soŋ lé sel kôz dé maler pûblik é de la korupsioŋ dé Guvèrnmaŋ, oŋ rézolû d’èkspozé, daŋz’ûn Déklarasioŋ solanèl, lé drua natûrel, inaliénabl é sakré de l’om, afèŋ ke çèt Déklarasioŋ, koŋstamaŋ prézaŋt à tu lé maŋbr dû kor sosial, ler rapèl saŋ sès ler druax é ler devuarx ; (…)
On croirait lire du Dev Virahsawmy à la sauce Lalit !
En dehors de la langue (française donc), on trouve l’expression “Néo-Français” opposée, souvent, aux expressions “Français de souche” ou “Gaulois”. Le sujet étant potentiellement sujet à polémique (plus ou moins malsaine), nous allons allègrement le sauter…
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Qu’en est-il, au bout du compte, des habitants de la martienne et brumeuse Nouvelle-France ? Si “Néo-Français” est d’ores et déjà affublé d’une certaine connotation, pourquoi ne pas choisir Nouvel-François (hommes) et Nouvelle-Françoise (dames) ?