Archives quotidiennes : 15 mai 2010

Fraîcheur

Fraîcheur.
Nom féminin.

Froid.

« Cette année-ci la fraîcheur n’est arrivée que le 15 mai. »

Hmmm… Il y a une petite fraîcheur ce soir, tu ne trouves pas ?

« Eh toi, hier au soir chez Hans on a dîné sous la varangue. Il y avait une mari de fraîcheur et je n’avais amené aucun paletot. Il a eu à me prêter un tricot. Heureusement qu’on est à peu près de la même taille… »

Tu vas aller habiter à Curepipe ? Tu n’as pas peur de la fraîcheur ?

« – … Ici fraîcheur pe donne bal, Mawsi. Bizin met chaussette ek bonnet la laine pour dormi mo dire ou… » (Jean-Claude Antoine, Week-End du dimanche 5 juillet 2009.)

La différence de sens avec le français standard tient au fait qu’à Maurice la fraîcheur est la plupart du temps une chose négative, déplaisante, qu’on préfèrerait éviter, alors qu’en France il s’agit d’une chose positive, ou d’un répit, d’un soulagement, comme ici : “Nous avions marché depuis deux heures au soleil quand nous sommes arrivés dans la forêt. La fraîcheur du sous-bois fut un baume.” On pourrait aussi citer l’exemple que donne le Petit Robert : « Ces rochers dont l’ombre donnait une fraîcheur délicieuse. (Stendhal)” Il y a là l’idée d’un rafraîchissement, d’un bienfait. Comme chez Rimbaud :

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue,
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irais loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme.

Il est possible, en français mauricien, dans certains cas, au cours d’une chaude journée, d’entendre le mot fraîcheur avec ce sens positif. Mais souvent la fraîcheur est une chose dont on se passerait volontiers, et dans bien des cas “il fait frais” signifie “il fait froid”. (On pourra même entendre à ce sujet “il fait frais-frais”, ce qui veut dire qu’il fait plutôt froid, i.e. frisquet en français standard.)

Cela tient sans doute à la proximité du créole, lequel n’a pas le mot froid. En créole, “il fait froid” se dit “faire frais” (“éta, fer fré la !”), et le froid c’est “fréssère”, manifestement issu du mot français “fraîcheur”. Les allers-retours habituels entre créole et français ont fait que le mot “fraîcheur” est plutôt associé au froid qu’aux sens que peut prendre ce mot en français d’ailleurs : qualité de ce qui est frais, de ce qui est nouvellement arrivé (la fraîcheur d’un poisson) ; qualité de ce qui respire la santé et la vie (la fraîcheur du teint) ; qualité de ce qui a quelque chose de vivifiant, de jeune et de pur (la fraîcheur d’un coloris, d’une toilette, d’un premier amour) — Le Petit Robert.

Par contre, “un poisson frais” est compris de la même façon qu’en France, i.e. sans que sa température n’entre en ligne de compte. Idem pour « le pain frais » ou « des idées fraîches ». Mais en créole « poisson-la inn fré » (le poisson est “frais”) signifie qu’il est froid, après cuisson, alors même que “enn poisson fré” signifie “un poisson frais”, c’est-à-dire fraîchement pêché. C’est la présence du verbe être (ou de son “image”) — en créole classique celui-ci n’existe théoriquement pas — qui différencie l’un de l’autre.

 

 

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Mise à jour du 3 juin 2012.

— Je suis un peu kaya kaya avec cette fraîcheur qui commence à arriver. Et toi-même ?
— Pareil comme toi. Parfois cette petite fraîcheur rentre dans tes os, toi, et il faut te faire frotter, mais personne ne veut. Mais enfin, il vaut mieux ça que la grande chaleur, non ?

(Jean-Claude Antoine, Week-End, dimanche 27 mai 2012.)